Le 20 mars 1686, le Chevalier de Troyes, accompagné d’une centaine d’hommes, quitte Montréal pour aller combattre les Anglais installés sur le pourtour de la baie d’Hudson. Une des exigences que lui transmet le gouverneur : trouver un endroit d’embarquement et de débarquement qui serait facile à fortifier, afin d’y stocker des vivres et des marchandises. Est-ce possible que l’on doive au Chevalier et à son équipage le choix de l’emplacement où sera édifié plus tard le Fort Abitibi?

 

Il importe tout d’abord de ne pas tomber dans le même piège que ceux qui se sont fiés à la publication de Ernest Voorish datant de 1930, qui situe le Fort Abitibi à l’endroit communément appelé la Pointe des Indiens. Les chercheurs l’ont aussi appelé Fort des Abitibi et Poste des Abitibis, alors qu’il s’agissait en fait d’un poste de traite occupé par la Compagnie de la Baie d’Hudson.

C’est un détachement d’une centaine d’hommes, prenant place dans trente-cinq canots, qui prit part à ce long périple. Comme il n’y avait aucune façon de retracer la carte originale du voyage, il fallait donc trouver une carte qui rapportait les propos de Pierre de Troyes quant à la situation des lieux qu’il mentionnait. Le sieur de Troyes, qui avait le souci du détail, a bel et bien noté à l’entrée du Lac Abitibi un emplacement qu’il nomma « Fort des Abitibis ». Ceci n’est évidemment pas une preuve suffisante en elle-même, mais il en existe une autre: étant lui-même très intègre, il mentionnait, dans une lettre à M. De Brissay, des frais de remboursement pour des boutons, des uniformes, des souliers, des vivres et des vêtements pour le Fort St-Joseph des Abitibis.

« Et arrivâmes au giste celuy des Abitibi. Je fus camper dans une prairie sur la droitte en entrant et comme il estait de bonne heure j’allé visiter un endroit qui est fort proche dont je trouve la situation fort propre a bastir un fort. Ce que je fis suivant mes ordres. Le troisie [3 juin] et les deux jours suivants, je fis construire le fort sur une petite éminence qui est élevée du niveau de l’eau de vingt-trois pieds. Il est de pieux et flanqué de quatre petits bastions. Je m’appliquai ensuite à faire représenter la forme de fortifications des Anglais. » (Journal de bord du Chevalier de Troyes )

À l’entrée du Lac Abitibi, ce que l’on pouvait appeler il y a plus de trois cents ans une prairie fait maintenant partie du lac. La compagnie Abitibi Power and Paper a en effet obtenu l’autorisation du gouvernement du Québec de faire un barrage afin de relever le niveau du lac, qui fut ainsi changé d’environ trois pieds. Qu’on agrandisse sa surface ainsi, ce qui a érodé ses berges et certaines îles, a faussé toutes les cartes datant d’avant 1914. Voilà pourquoi la « prairie » dont parle Troyes est aujourd’hui disparue.

On ne connaît toujours pas l’emplacement exact du Fort Abitibi, mais on prend lentement conscience de l’importance de l’occupation du territoire par les autochtones, les soldats et les marchands divers. C’est d’ailleurs ce que nous rappelle l’anniversaire du passage du Chevalier de Troyes sous nos latitudes.