Nous nous sommes laissés le mois dernier sur la promesse de l’Abbé Proulx dans le film En pays neuf (1937), à savoir que le colon venu en Abitibi labourerait un enfer mais récolterait un paradis. Cette fois-ci, près de quarante ans après cette prophétie habilement bredouillée, on marche dans le sillage du pionnier du cinéma direct Pierre Perreault et de son ami Bernard Gosselin venus filmer le Cycle abitibien, qui comprend quatre films parus entre 1975 et 1980.


Alors que les dires de l’Abbé Proulx laissaient entendre que les colons ne finiraient jamais d’accourir vers ce pays pittoresque et ne voudraient jamais le quitter, la première image du Cycle abitibien nous dit de ses mille mots tout le contraire : sur un dix-roues est chargée une maison qui quitte tranquillement le paysage rural, ne laissant rien derrière elle sauf un brouillard épais.

Pierre Perreault dit du personnage principal du Cycle abitibien qu’il est « l’incarnation du goût du Royaume que j’ai toujours poursuivi dans tous mes films […], le cultivateur le plus fantastique que tu puisses imaginer ». Hauris Lalancette, du haut de ses cinq pieds, fait porter sa voix à travers les champs de l’Abitibi-Est en un cri qui dénonce la misère que doivent se résoudre à manger les cultivateurs de la région, alors que leurs récoltes sont dévalorisées par le gouvernement, qu’on mange en Abitibi le bœuf de l’Ouest et les patates d’ailleurs et qu’on exporte les profits tirés des mines et des forêts à Toronto ou à New York. Le choix que donne le gouvernement aux cultivateurs à cette époque est en fait une impasse : l’exil ou le bien-être social?

Dans Un royaume vous attend (1975), Hauris voit près de chez lui les terres qui furent défrichées par ses pairs être reboisées en épinette, et constate que l’avenir qu’on réserve à celui qui habite cette terre est celui d’un simple exécutant dépendant des intérêts privés. C’est loin de la liberté qui était supposée attendre ces hommes quand ils sont montés dans le Nord pour coloniser le « royaume ».

Dans Gens d’Abitibi (1980), Hauris fait campagne comme candidat du Parti Québécois en 1973, alors que la bureaucratie de l’époque tente de regagner la confiance des Abitibiens désenchantés en leur faisant miroiter la possibilité de bâtir un autre royaume, plus au nord, à la Baie-James. C’est plutôt le doute et l’impression qu’on les méprise en les exploitant qui surgissent chez plusieurs, dont Hauris, qui s’écrie qu’on ne doit pas renvoyer des gens en exil, mais plutôt donner l’appui nécessaire et mérité à l’émancipation du cultivateur. Un bureaucrate venu représenter la Société de développement de la Baie-James essaie de charmer les Abitibiens qu’il veut envoyer là-bas en leur disant que « ceux qui ont humanisé le sol de l’Abitibi, qui ont été les héros des pages immortelles de l’abatis, nous montrent qu’ils sont toujours vivants et qu’ils font non seulement partie d’une race qui ne sait pas mourir, mais d’une race qui ayant fait vivre ce pays, l’ayant porté dans son cœur, ne veut pas le laisser mourir. » Ce à quoi Hauris n’a qu’à répondre : « mais on a mal dans l’corps, on a mal aux trippes, on a mal aux nerfs, on a mal partout! »

Pour voir un des films du Cycle abitibien :
www.onf.ca/film/royaume_vous_attend/


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