Bellehumeur, Fernand. Le vieux qui pissait partout, Rosemère: Gensen, 2008, 130p.

  « Les tracas s’accumulent et s’additionnent. C’est comme la neige, un petit peu à la fois ça dérange pas et à la fin, tu restes pris dedans. »  (p.77)

Tous ceux qui ont connu un voisin dérangeant saisiront l’histoire racontée par le personnage principal. Le roman se présente sous la forme d’une lettre que « le vieux » écrit directement au juge parce que son avocat, qu’il qualifie de jeune imbécile, veut plaider l’incapacité mentale, avis que partagent sa femme et ses enfants. Wilbrod Boisvert, lui, veut assumer son acte, car il pense qu’il s’agit d’un cas de légitime défense.

Que s’est-il passé ? Voilà une question à laquelle il n’est pas aisé de répondre et qui occupe l’essentiel du livre. Le nouveau voisin, Lucien Desgroseillers, voit large.  Il prend le contrôle de son environnement et se l’approprie sans égard pour les autres, sans respect non plus. Il rit au nez des gens. Il avec les limites de la loi, et va parfois même un peu au-delà.  Autrement dit, il fait ce qu’il veut, quand il veut. Boisvert, lui, veut qu’on respecte sa façon de faire.  Il se sent envahi, attaqué par ce voisin qui pousse, qui empiète, qui dérange en accusant l’autre d’être dérangé. C’est l’attitude de « jars » de Desgroseillers qui l’atteint.

À cette trame-là s’ajoute un bref aperçu de la vie en prison et du système carcéral ainsi que de la vie « d’avant »,  celle des ancêtres pas si lointains qui vivaient de la trappe, de la forêt. Par ses allusions à la vie qu’il a menée, le personnage principal exprime sa difficulté à s’adapter à une société en changement. Ceci dit, il y a toujours eu des gens qui en menaient large. En ce sens, l’histoire est peut-être davantage l’expression d’un sentiment de gens qui se sentent facilement menacés et laissés à eux-mêmes. Plus personne n’intervient, tout est toujours du ressort de l’autre, quel qu’il soit, dans une société où chacun est responsable de son propre bonheur et où chacun finit par ne s’occuper que de lui (ce qui n’est pas sans rappeler les propos de George Steiner: « Nous sommes complices de tout ce qui nous laisse indifférent ») ))       hhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh  Finalement, la police n’interviendra que lorsqu’il sera trop tard. L’inaction de tous laisse le champ libre à des personnes comme ce voisin qui s’approprie l’espace, qui décide pour les autres et qui se comporte en maître partout où il passe. Force est, à la fin, de se poser la question : qui est vraiment coupable dans cette histoire ?

Le texte prend le ton simple de quelqu’un qui a quitté l’école « après [s]a septième année », mais qui utilise un langage correct. La seule petite coquetterie que se permette Boisvert : il refuse le mot « meurtre », et favorise le mot « homicide » qui fait moins crapuleux selon lui. Le récit est bâti sur des retours en arrière et est basé sur trois voix : celle des époux Boisvert ainsi que celle du narrateur omniscient.  Ce dernier, comme un maître de cérémonie, présente le récit, puis revient pour conclure, en s’arrêtant sur la nécessité de l’écriture et de la lecture; lorsque Boisvert perd cette importante façon de communiquer, il devient « le pauvre », car il a tout perdu.

À la question de madame Boisvert : « Est-ce qu’on peut avoir raison contre tout le monde ? » (p. 86),  je répondrais avec les mots d’Amin Maalouf, tirés de Léon l’Africain : « Lorsque tout le monde s’agglutine autour d’une même opinion, je m’enfuis : la vérité est sûrement ailleurs. 

Ce recueil interpelle aussi bien par la fluidité du récit que par la finesse avec laquelle il soulève la question de la vie en société aujourd’hui.


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