Ah, je commence à vous connaître, amis lecteurs! Vous aimez les contes, les fables puisant leur morale dans un monde parallèle apparemment coupé du nôtre, mais tellement similaire… Et puisque la direction de L’Indice bohémien m’autorise à prolonger ma chronique, voici donc l’histoire fabuleuse, mais authentique de Domesday, entrée dans la légende en français sous le vocable terrifiant du Livre du jugement dernier.

Il y a de ça plus de 1000 ans, un prince d’origine viking, Guillaume Le Conquérant, installe son régime sur l’Angleterre. Devant financer ses activités guerrières et étendre son emprise, Guillaume lance un vaste recensement de ses sujets, inventoriant aussi les richesses et possessions de ceux-ci. Il faut dire que Guillaume suspecte que certains cachent une partie de leurs avoirs au fisc. Le livre qui en découle s’avère la plus extraordinaire banque de données personnelles, géographiques et sociales sur l’Angleterre médiévale que les scientifiques d’aujourd’hui continuent de fouiller.

Il n’en fallut pas plus pour que, au début des années 1980, la très crédible société d’État britannique, la British Broadcasting Corporation (BBC), lance le projet d’un nouveau Domesday, version informatique, auquel les citoyens contribueraient pour la postérité. L’enjeu technologique s’impose : sur quelle plateforme déposer ces données afin que les utilisateurs du futur puissent s’en servir?

C’est un partenariat avec la firme Acorn qui fournit la réponse à la BBC. On opte pour une technologie de disques laser de grand format. Vous vous en doutez bien, la technologie en question, non soutenue par l’industrie informatique, devient rapidement obsolète et il s’avère impossible de consulter Domesday 2.0. Depuis, les plus grands spécialistes de l’informatique forent à la petite cuillère cette banque de données, extirpant par bribes le portrait du Royaume-Uni de la fin du 20e siècle.

PETITES NOTIONS D’HYGIÈNE NUMÉRIQUE

C’est dans la foulée du vol de données confidentielles des clients de Desjardins et de Capital One que j’ai entendu pour la première fois cette expression : l’hygiène numérique. M’est avis que ce ne sera pas la dernière occasion où cette pas très folichonne formule viendra troubler notre béate quiétude.

Que devrait enseigner à notre époque et à nos dirigeants le cuisant échec de Domesday version moderne? Les 3 lois de l’informatique édictées par Jack Schofield il y a plus de 30 ans fournissent la meilleure réponse :

  1. Ne confiez jamais vos données à un logiciel sans savoir exactement comment vous pouvez vous-mêmes les extraire.
  2. Considérez que vos données n’existent pas tant et aussi longtemps que vous n’aurez pas une deuxième copie de celles-ci.
  3. Présumez que plus il vous sera facile d’extraire vos données, plus il sera facile pour quelqu’un d’avoir accès à vos données personnelles.

Tout comme il en va pour la santé humaine, il faut, en matière d’hygiène numérique, plus qu’un comportement personnel responsable : on doit aussi revendiquer la mise en place d’un cadre de santé publique numérique. Vous savez, un genre de prévention des pandémies ou, plus positivement, la promotion de saines habitudes de vie. J’en ai déjà parlé dans de précédentes chroniques, les lois actuelles fédérales et provinciales ne suffisent pas.

Pour référence, fallait voir le simulacre de commission parlementaire fédérale et estivale censé se pencher sur la protection de nos renseignements personnels où comparaissait le PDG de Desjardins. On a plutôt eu droit à de la partisanerie bas de gamme entre députés d’arrière-ban. Pas un PDG de banque à charte dans le périmètre, sinon deux ou trois consultants en sécurité informatique.

Scheer et Trudeau? Partis flipper des boulettes de hamburger à Calgary!

Alors, qu’ont dit les consultants en sécurité informatique? « Oui bien sûr les demandes de renseignements personnels exigées par les banques vont bien au-delà du raisonnable, mais que voulez-vous, il est trop tard, et ce, même si vous changiez votre numéro d’assurance sociale.

« Mais alors que faire », de demander les députés inquiets? « il faut que les banques ouvrent des points de services matériels là où des individus seront à même de contrôler votre identité, de répondre les consultants. »

Quoi? Faire appel à des personnes? Alors que l’on ferme des points de services bancaires dans tous les villages?

Apparemment, même si les institutions bancaires ne sont pas encore revenues à cette pratique, il y a retour en force du commerce physique! Jeff Bedos chez Amazon tergiverse actuellement entre 16 ou 17 formules d’expérience client matérielle devant agir en complémentarité avec l’achat en ligne. Ça semble aller dans toutes les directions, partant de la boutique ayant pignon sur rue au sortir de laquelle votre carte de crédit associée à votre compte Amazon aura débité sans la moindre interaction jusqu’à la rencontre d’un conseiller-vendeur-lubrifiant social. Et n’oublions pas les boutiques éphémères de Facebook, déjà ouvertes aux États-Unis et dans lesquelles on peut trouver des produits originaux non manufacturés à la chaîne, paraît-il.

Bonne nouvelle? Ischhhh… Moi, la journée où les fraises du Témiscamingue seront vendues par Facebook, je prends le bois! Come on, le marché public c’est la dernière place d’affaires ou t’es pas obligé de donner ton nom pour acheter des petites fèves.

Non, pour moi, la mode du commerce matériel ne protégera jamais les citoyens.

Une charte du numérique de l’Abitibi-Témiscamingue s’impose et elle devra comprendre une section sur la constitution d’une banque de données personnelles uniques fournies sur une base volontaire localement et respectant le droit à l’anonymat numérique. À l’État de développer l’outil, et pas au privé.

La BBC et Guillaume le Conquérant comme consultants?


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