Je ne peux jamais porter de masque à cet endroit. L’étroites se des lieux semble nous bousculer l’un sur l’autre jusqu’à nous forcer tête contre épaule, bouche contre oreille, le regard contemplateur à se chuchoter ce à quoi on pense quand on regarde le bleu d’une flamme.
 
***
 
Je suis entré à L’Écart sur la pointe des pieds en ce vendredi soir de néons bleutés et de visages souriants cauchemardesques. C’est le bleu du blanc. Les ombrages et les gens méconnaissables qu’on peut essayer d’identifier au son de leur voix ou encore à leur démarche de quinquagénaire. Les lumiè res se tamisent. Il fait noir maintenant, et dans la noirceur, il y a tellement de choses que je veux faire.
 
La biennale d’art contemporain s’apprête à commencer alors que les curieux et les habitués prennent place. Une crowd qui existe dans un univers parallèle et qui encourage la goutte d’encre dans le verre d’eau. C’est justement l’envie d’être bousculé dans mes convictions qui a ouvert la porte cette soirée-là. Je suis venu avec ma chum Julie, qui m’informe que cette année, c’est plus tranquille que d’habitude, il y a moins de nudité et de sang que d’habitude. J’apprécie vraiment cette forme d’art même si je ne l’ai jamais dit à personne. Je me sens comme dans un collectif de la culpabilité, un club de gens bien assumés de ralentir la cadence pour contempler des accidents de char sur l’autoroute. À force de voir la vie de si près, on pourra se dire qu’on a le mérite d’en connaitre les failles.
 
J’ai pas de problème à me faire éclabousser, je suis déjà allé à Marineland.
 
Nous prenons place devant un homme et son silence. Il fixe la foule d’un regard rempli de certitudes comme s’il connaissait déjà nos moindres secrets. Il veut me faire sortir de moi. Il m’invite à le défier du regard, mais j’en suis incapable. Je regarde mon iPhone, la
game des Huskies est commencée. But de Félix Bibeau en fin de première. On mène 2 à 1. Cri de loup intérieur. Cri de meute extérieure.
 
La performance débute! L’homme en question commence à se mettre de l’eau à la figure, s’ensuivent des couches et des couches de glaise qu’il dépose directement sur le dessus de sa tête pour lui donner d’autres formes. Je capote un peu. Il ressemble aux créatures
de Jacob’s Ladder sauf que moi, j’ai jamais fait la guerre. Il s’arrête à l’occasion pour peinturer des yeux et une bouche à sa déformation
puisque nous avons tous besoin de repères en ce monde. Je vois un long bec qui me rappelle un oiseau. Je vois une momie qui sort tout droit d’un mauvais blockbuster.
 
À tour de rôle, de multiples monstruosités organiques s’invitent devant moi et mon âme tranquillement s’échappe de mon corps. Pour la première fois de la semaine, je sens mon cœur battre, et dans le silence de la foule, il résonne assez fort pour faire craquer les verres de vin rouge et les lunettes d’intellos. Le béton de la Murdoch semble avoir écopé également.
 
Je suis allé voir l’artiste après sa performance pour lui demander :
 
– «Pourquoi faites-vous cela, monsieur?»
– «Pour qu’on réapprenne à apprécier un visage.»

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