J’avais envie de le faire depuis longtemps. Puis parfois, les idées émergent lorsque l’on est seul sur la route. Certains vont à pied à Compostelle pour ça. J’ai avisé ma blonde que je prendrais mon vélo et la 117 vers le sud et que je roulerais le plus longtemps possible, jusqu’aux limites de l’Abitibi-Témiscamingue, au moins… le temps de remettre mes idées à jour sur cette région, dont on dit qu’elle nous habite.

Je signale que trame sonore de cette chronique est la chanson Chariot de Petula Clark, un hit de 1962. C’est aussi le ver d’oreille qui m’a taraudé le ciboulot pendant 3 jours et 300 km.

Vous êtes prévenus, maintenant ! Bien bon pour vous autres, si vous continuez cette lecture !

La préparation

J’ai demandé à la ronde depuis quelques semaines si la dernière année sous les auspices de l’austérité libérale avait anéanti le concept de région. J’étais inquiet, sans blague. Plus de CRÉ, plus de fonds de développement régional et j’en passe.

Personne n’a été capable de me répondre, mais quelqu’un m’a conseillé de m’acheter un gravel bike si je voulais affronter la route verte 2, voie cyclable qui traverse notre région. Avec ça, j’allais enfin pouvoir m’adonner en toute quiétude à ma quête routière sur la notion de région. Héhé !

Étape 1 – Rouyn-Noranda/Val-d’Or : bouts de caoutchouc

Samedi 6 août 2016

Premier constat du jour : Les meilleurs élastiques bungee ne sont pas les noirs en caoutchouc, car il y en a un moyen paquet en petits bouts, sûrement faits dans le même caoutchouc que les pneus de poids lourds, déchiquetés, menus, sur le bord de la route.

Deuxième constat : Je roule pour une moyenne de 23,4 km/h. Je suis content de moi. 60 bornes bientôt, le bonhomme !

Je me désole un peu, la notion de région ne s’impose pas à moi durant ces 105 kilomètres. Je rencontre des semi-remorques et des hordes de motos, comme toutes les routes du Québec en comptent. Rien de distinctif, rien qui nous caractérise.

Heureusement, les quelque bonnes bières que je me suis sifflé au Prospecteur m’ont amené une très bonne et réparatrice nuit de sommeil à l’Auberge de l’Orpailleur.

J’ai oublié mon chocolat de Choco Mango dans le mini-frigo de ma chambre, zut.

Étape 2 – Val-d’Or/Dorval Lodge : être un ours au lac Kaouinagamik Dimanche 7 août 2016

Aujourd’hui, j’entame ma 2e journée de 100 km (106 pour être précis) entre l’Auberge de l’Orpailleur et la pourvoirie Dorval Lodge dans le parc de La Vérendrye.

Dorval Lodge est presque à la limite est du bassin de versant de l’Outaouais supérieur, ce qui symboliquement me parle de nous. Quelque part après le Camatose, les eaux basculent vers la Gatineau.

D’ailleurs, le réservoir Dozois est un des plus beaux coups de bluff de l’histoire de l’Amérique du Nord. Lorsque Champlain en 1613 voulut se rendre en Outaouais supérieur, les Algonquins de l’île aux Allumettes (sur la section sud de la rivière) l’en dissuadèrent en lui disant qu’un lac immense s’y trouvait. À peu près ici. Le lac Kaouinagamik, plan d’eau imaginaire n’ayant jamais existé, se retrouva sur toutes les cartes de Nouvelle-France faisant obstacle au projet de Champlain de rallier la mer d’Orient.

Constat du jour : Cette histoire n’intéresse pas l’ours que j’ai rencontré environ à 5 kilomètres de la barrière nord. En le voyant s’élancer pour traverser la route juste devant moi, j’ai tout de suite pensé de façon égocentrique que celui-ci s’en prendrait à mon vélo. Oubliez ça. En adoptant le point de vue de ce plantigrade, vous comprendrez qu’en traversant les routes des humains, vous pouvez vous prendre un Fifthwheel en pleine bouille, sans compter le vacarme du trafic. Pas le temps de niaiser avec un vélo.

Étape 3 : Dorval Lodge/Kandahar (!)

Lundi 8 août 2016

J’amorce ma troisième journée en relative forme. Normalement, je me rendrais à l’accueil sud du Parc, au-delà de 140 kilomètres. Les ascensions se font plus difficiles. La montée au lac Larouche se finit à 5 km/h.

Constat du jour : l’accotement pavé ne l’est plus à plusieurs endroits. Trous. Cratères. La route verte 2 ressemble probablement à certaines sections de la route afghane entre Kaboul et Kandahar. Zone de combat et parfois voie cyclable !

Ma blonde me rejoint. Douche à 2 $ au Camping Lac-Rapide. Je mets mon vélo dans la boîte du pickup. Je le débarquerai au P’tit Train du Nord pour continuer, encore un peu.

Épilogue

Suis-je habité par ma région ? L’ai-je rencontrée durant ces 3 jours à vélo ?

Était-elle chez Boyer Lodge, se présentant sous l’aspect d’un incroyable carré aux dattes, énorme ?

Généreuse, comme la dame du restaurant ?

Solidaire, comme le camionneur en congé avec qui je prends un café qui me dit de faire attention en bécycl’ ? \


Auteur/trice