Abitibi, 1978. La campagne, toute en blanc, avec ce qu’elle contient de contradictoire : un vieux chevalement croule sous le poids de la neige tandis que des rires jeunes se font entendre par-dessus la plainte du vent d’hiver. Un espace où se rassemble sous un toit commun une génération vivant en dehors des clôtures normatives sociales. Un amour entre deux sœurs qui avancent à pas de raquettes sur la neige, dans le cliché québécois du « manque de repères », cherchant avec angoisse leur chemin dans un néant idéologique.


En 1979 paraissait le film Hiver bleu, du Rouynorandien André Blanchard, appuyé sur un scénario cosigné Jeanne-Mance Delisle. Primé par l’Association québécoise des critiques de cinéma, ce long métrage s’avère un document rare sur le zeitgeist – l’« esprit du temps » – qui planait sur Rouyn-Noranda à ce moment de son histoire.


Les images du film Hiver bleu sont pour moi comme l’album photo que mes parents ne m’ont jamais montré. J’y reconnais la grosse barbe derrière laquelle mon père se concentrait sur son macramé, les énormes lunettes de ma mère et ses longs cheveux « lousses », l’odeur du patchouli, le son des longues conversations à vouloir refaire le monde… Mais au-delà de ce qui est capté par les sens, on y décèle surtout la proximité et la sincérité touchante entre les jeunes qui ont décidé de vivre ensemble.

Donc, Hiver bleu raconte l’histoire de deux sœurs venues retrouver le beat de la ville, nonchalamment, en quittant Normétal pour se joindre à une commune à Rollet. Tandis que Christiane s’inscrit au cégep, Nicole choisit de gagner son pain comme serveuse. Elles se retrouvent devant le fait implacable qu’elles avancent sans savoir où aller, tiraillées par le désir de vivre le moment présent et celui d’évoluer et d’en faire profiter la société.

 

Le refus de se conformer aux normes et toutes les questions que posent les jeunes dans le film trouvent source dans la situation de leurs parents. André Blanchard a choisi d’illustrer la lutte des mineurs aux prises avec des maladies gravissimes causées par le travail. Devant l’invalidité de leur père, on comprend mieux l’anxiété des deux sœurs devant l’avenir que leur prépare leur collectivité. L’amertume du paternel le mène lui-même à considérer les revendications sociales de ses enfants : « Ça fait longtemps que j’rêve d’avoir ma petite aire à moi, avec une couple de voisins à l’entour, pas d’barrières entre nous autres. » Il y songe malheureusement sans l’approbation de sa femme, qui répond cyniquement: « Pas d’barrière entre les lots? Pas d’barrière entre les hommes pis les femmes? C’est ça, partageons-nous. Partons sur le pouce! »


Au niveau formel, Hiver bleu se fait audacieux, refusant la plupart du temps des scènes construites par les traditionnels champs/contrechamps. L’approche favorisée est celle des longs plans séquences, contexte favorable à des dialogues improvisés dont le naturel sert à dévoiler l’identité des personnages, qui portent d’ailleurs le nom de l’acteur ou actrice qui les personnifie


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