La vie de Sylvie Rancourt en est une que l’on peut sans hésiter qualifier de hors du commun. Celle qui, depuis plus de trente ans, nous offre à lire le récit autobiographique de sa vie de danseuse nue sous forme de bande dessinée n’a pas fini d’inviter ses lecteurs dans le milieu clos et méconnu de la danse dans les bars. Pour preuve, l’artiste originaire de Macamic aujourd’hui résidente de Barraute a fait paraître en février Melody au bar à l’antique, un album qui réunit 14 aventures vécues de l’année 1982 mettant en vedette son alter ego Melody. C’est grâce au financement issu du programme de partenariat territorial de l’Abitibi-Témiscamingue unissant le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), les 5 MRC de la région et le Conseil de la culture de l’Abitibi-Témiscamingue qu’a pu voir le jour ce nouveau recueil entièrement confectionné par l’artiste : de l’écriture à l’édition, en passant par les dessins. Après que des éditeurs de renom (Kitchen Sink Press, Égo comme X, Drawn & Quartely) aient publié son œuvre et que plusieurs dessinateurs aient représenté Melody, Sylvie Rancourt revient à la conception maison avec cette nouvelle publication.

PIONNIÈRE DE LA BANDE DESSINÉE AUTOÉDITÉE

Enfant, c’est dans les arts que se démarquait Sylvie Rancourt. Les histoires et la narration faisaient partie de son quotidien. « Je faisais ça avant d’aller à l’école, se souvient-elle. Je racontais des histoires toute la journée avec des bonhommes découpés dans les catalogues, puis on se montait des tables complètes de bonhommes. Je jouais avec ma petite sœur, elle écoutait et moi je parlais. » Beaucoup plus tard, sa carrière de danseuse bien amorcée et la tête pleine d’histoires loufoques et de souvenirs, Sylvie Rancourt commence à coucher sur papier des événements marquants de son parcours. Grâce à la coexistence des mots et des dessins, caractéristique du 9e art, elle peut exercer ses deux passions en une même création. Mais la bande-dessinée offre aussi la possibilité de décrire une scène en une image. Pour l’artiste, bien des événements se transcrivent mieux en dessins qu’en mots. Rapidement, elle agence ses histoires et les réunit en un premier volume : Melody à ses débuts, publié en 1985. Le nom de Sylvie Rancourt passe alors à l’histoire, car en plus de s’adonner à l’art de la bande dessinée autobiographique, genre peu courant à l’époque, cette première parution fait d’elle la première femme à s’autoéditer en bande dessinée au Québec.

APPROCHE AUTHENTIQUE

« J’essaie de toujours écrire mon événement tel qu’il était. Et j’en ai plusieurs événements à écrire. Il s’est vraiment passé beaucoup de choses intéressantes dans les bars », relate Sylvie Rancourt. Cette fidélité à l’événement touche d’une part le milieu et la culture qu’elle décrit, mais aussi toute la gamme d’émotions que traverse l’autrice, puisque c’est dans l’intimité de son expérience qu’est invité le lecteur. Et si le personnage de Melody nous transporte dans un univers souvent brutal et sans pitié, c’est dans un style dépouillé, qualifié par certains de naïf, que sont racontées ces tranches de vie, altérant ainsi la dureté du propos. Ce clivage entre le discours et la façon de l’énoncer reflète par ailleurs la perception ambivalente qu’a Sylvie Rancourt de son métier. Interrogée sur son rapport au travail de danseuse lors d’une entrevue en 1985, la jeune artiste affirme sans détour que « c’est ce qui [l’a] rendue la plus heureuse et la plus malheureuse ». C’est ce bonheur d’une femme qui dispose de son corps comme elle l’entend et la souffrance émanant d’un contexte empreint de dureté qui nous sont donnés à lire dans ce nouveau volume de Melody.

L’AVENTURE SE POURSUIT

Si elle s’est retirée de l’écriture pendant quelques années pour se consacrer à sa famille, Sylvie Rancourt a encore beaucoup d’anecdotes à raconter. Elle compte d’ailleurs bien continuer de faire découvrir son histoire unique. « C’est le seul livre sur le marché qui est sur ce sujet-là, explique-t-elle. C’est pas des superhéros ni des histoires pour enfants que tout le monde fait. Je me dis que j’ai la chance d’avoir une bonne série. » Ainsi, les lecteurs pourront continuer de s’immiscer discrètement dans le monde des bars de danseuses et, peut-être, comprendre un peu mieux cet univers.


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