« Il ne faudrait pas être surpris de constater que je parle toujours de moi. Pascal disait que “le moi est haïssable”. Je sais! Mais, comment pourrait-il en être autrement dans cette périlleuse entreprise? Alors, au risque de me faire haïr… ». Ainsi va une des mises en garde faite au lecteur par Fernand Bellehumeur en ouverture de Chemin faisant, son dernier livre paru l’an dernier aux Éditions En Marge.

 

Livrés dans une écriture franche, sans fioritures, les quinze récits qui composent cet opus reviennent sur les « […] moments ou les événements les plus marquants de [la] vie [de l’auteur] ». De son enfance baignée de soleil dans une Fugèreville qu’on croirait intemporelle à une implication professionnelle et sociale nourrie, en passant par un engagement sacerdotal dont il finit par « défroquer », le chemin de Fernand Bellehumeur étonne par sa diversité : aumônier, principal de l’École normale d’Amos, directeur régional du programme Multi-Média, aspirant marxiste-léniniste… Mais ce chemin nous frappe aussi par la toile de fond qui semble le tisser : un engagement soutenu pour la région et ses gens.

Si Fernand Bellehumeur « parle toujours de lui », force est d’admettre qu’il parle aussi toujours des autres. Normal, sans doute, quand on leur a consacré, par dévotion ou par la force des choses, des parts substantielles de notre vie. Et c’est ainsi que, dans Chemin faisant, la tranche de vie cède régulièrement le pas à d’exaltantes pages d’histoire.

Citons à cet égard le puissant récit de son bras de fer contre la Noranda dans le but de faire reconnaître la responsabilité de l’entreprise dans les dommages causés à sa propriété du fait des émanations d’anhydride sulfureux (SO2) sortant de ses cheminées. Puis de la lutte qui s’est ensuivie – jusqu’à devenir « la bête noire de Minéraux Noranda » – notamment au sein du Comité permanent sur l’environnement de Rouyn-Noranda. Or, on le sait, faire plier ces géants industriels n’est pas de tout repos. Et la pente à remonter pour les citoyens qui s’y frottent est raide : « Même si n’importe quel être sain faisait sans hésitation un lien entre le SO2 et ses effets sur la végétation, la compagnie exigeait des preuves irréfutables et s’en tirait toujours, décourageant ainsi tout citoyen qui refusait de baisser pavillon. »

Une fois refermées les pages du livre, il apparait clair que Fernand Bellehumeur fait partie de ces quelques personnes qui veillent sur la mémoire pour l’empêcher de s’engourdir. Du type à poser des jalons sur la route, chemin faisant. N’est-ce pas d’ailleurs là l’entreprise du premier livre de l’auteur, pour lequel il a reproduit une partie de l’abondante correspondance de ses oncles et tantes avec leur père, Joseph « Pit » Bellehumeur, parti incognito du Témiscamingue un jour de 1914 refaire sa vie dans l’Ouest canadien? (Partir : les lettres de Pit Bellehumeur, publié en 1996 aux Éditions Stanké; le livre est aujourd’hui épuisé, mais certaines bibliothèques de la région en gardent heureusement un exemplaire.)