Un certain mystère plane au Témiscamingue. La région abrite une curiosité architecturale répandue : les granges doubles. Ces structures imposantes, unifiées en leur centre, peuplent le paysage. Elles étaient sans doute bien plus nombreuses encore il y a quelques années à en croire les recherches réalisées par Émilise Lessard-Thérien. « Nous en avons trouvé pas loin de 90 », assure-t-elle.

Mandatée par la Commission culturelle du Témiscamingue, Émilie Lessard-Therrien a sillonné les rangs de sa région à la recherche des grands bâtiments. Elle en a fait un recensement exhaustif, a rencontré les propriétaires, réalisé des entrevues, croqué ces mastodontes de planches en photos et daté chacun des bâtiments. Un travail colossal selon la recherchiste.

« Mon document de recherche fait une centaine de pages! J’ai trouvé l’expérience vraiment enrichissante. Ce sont de super bâtiments, importants dans le paysage témiscamien. Pour certains, il y a un souci de les préserver et c’est un plus dans le paysage agricole. »

Certaines granges doubles ont été restaurées, d’autres, laissées à l’abandon. Grâce aux fouilles d’Émilise, la petite histoire de chacune a été recensée. À Saint-Bruno-de-Guigues, le toit de tôle d’une des granges doubles laisse croire qu’il s’agit d’un bâtiment neuf, mais il s’agit plutôt d’un effort de préservation. À Nédélec, les deux granges se sont fait ramasser par le vent en 1942 et ont été reconstruites le même été. À Notre-Dame-du-Nord, celle de Guy Perreault a été pratiquement transformée en musée!

« J’ai pu voir plusieurs trucs laissés à l’abandon dans ces bâtiments. Parfois, il était vraiment intéressant de découvrir de vieux vélos, de vieux outils esthétiquement très jolis. La grange de M. Perreault a été entretenue de manière impressionnante et avec soin. Il y a une foule d’objets récupérés au fil des années et qui sont exposés. C’est un vrai petit musée », confie-t-elle.

Mais pourquoi des granges doubles?

« Ça reste un peu embêtant », commence Émilise Lessard-Therrien. « Souvent, on commençait par construire une première grange. Après ça, on avait besoin de plus grand, alors on ajoutait une deuxième grange. Selon ce qui nous a été rapporté, il est rare qu’une grange double ait été construite dès le départ ».

À Fugèreville, la petite équipe de traqueur de granges a même trouvé un bâtiment triple, propriété de Jean-Luc Paquette. Cette grande grange n’est toutefois plus en fonction.

L’enquête terrain révèle que ces bâtiments ont fait leur apparition vers 1900-1920, au début de la colonisation. Concrètement, la deuxième grange communique avec l’entretoit. L’espace intérieur est vaste, il est plus facile d’y engranger le foin. On y retrouve souvent, chez les producteurs laitiers, l’étable à lait, le foin au-dessus des bêtes.

« Ça permettait aussi d’isoler. L’autre côté, on y mettait la machinerie », résume Émilise. Les plus récentes constructions datent des années 1940-1950.

L’exposition Les granges doubles au Témiscamingue garde « pignon sur champ » au Rift jusqu’au 6 mai. Par la suite, il faudra patienter puisqu’une suite est possible.

« Nous avons réalisé de nombreuses entrevues vidéos avec les propriétaires. La Commission culturelle évalue la possibilité de présenter un documentaire sur les granges doubles », laisse miroiter Mme Lessard-Therrien.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.