À 78 ans, le poète et chanteur  n’a toujours pas fini de rêver ni de se faire philosophe. Toutefois, àcette étape de sa vie, Raôul Duguay estime que le temps de faire «une synthèse» est venu. De là la pertinence de son livre Raôul Duguay, l’arbre qui cache la forêt.
 
«C’est un portrait, pas une biographie», prend-il soin de préciser. De sa maison de Saint-Armand, en Montérégie, où il vit depuis plusieurs années, Raôul Duguay est loin de ses terres abitibiennes, mais il assure, sans le moindre doute, que ses racines y sont toujours bien enfouies.
 
D’abord ancrée au Nouveau-Brunswick, en Acadie, la famille Duguay s’est établie à Val-d’Or au milieu des années 1930. Un incendie ayant ravagé leur demeure, devant eux s’annonçait la promesse d’un Klondike version québécoise dans l’Abitibi mythique d’alors. Dès le berceau, Raôul Duguay a baigné dans la musique avec le violon de son père, à un point tel qu’il dira avoir reçu une sorte de «transfusion musicale», comme si la musique lui avait coulé dans les veines pour y rester toute sa vie. Porté par la musique, la langue et les mots, Raôul Duguay a bâti lui-même sa planche de salut et a su échapper aux naufrages qui auraient pu se dresser sur sa route.
 
C’est que la cellule familiale a été durement éprouvée, apprend-on. Armand Duguay avait pourtant un commerce qui jouissait d’une réputation enviable et l’avenir s’annonçait profitable, mais la maladie a frappé durement. Raôul n’avait pas encore 6 ans lorsque son père est décédé, laissant sa mère, alors âgée de 38 ans, avec 10 enfants à charge et un bébé à naitre. Le clan a été divisé : certains enfants ont été envoyés dans la famille au Nouveau-Brunswick, d’autres sur le marché du travail et, plus difficile encore, à l’orphelinat de Lévis.
 
Dans la région de la Vieille Capitale, les petits ont connu de douloureuses expériences de séparation et de solitude, eux qui ne pouvaient être réunis qu’une heure par semaine au parloir de l’orphelinat.
 
«J’étais à l’orphelinat, je m’ennuyais de ma mère et de mes frères et sœurs. C’était un apprentissage de la vie et de la solitude. C’est en contemplant le pont de Québec que j’ai compris que le plus important, ce n’est ni la rive gauche ni la rive droite, mais le fleuve et le pont qui relie les deux rives. Et moi, je suis ce pont.»
 
Cette résilience devant l’adversité est omniprésente. «Si quelqu’un a le courage de vivre, il rencontre toutes sortes de difficultés», dira simplement Raôul Duguay, soutenant que les embuches ont aussi pour fonction de façonner toute personne.
 
L’auteure Louise Thériault, aussi thérapeute en relation d’aide, use de mots simples pour dresser ce portrait de Raôul Duguay. Sa démarche d’écriture et d’entrevues auprès de Raôul Duguay et de ses proches a pris la forme d’une longue introspection. Et c’est de confidence en confidence que s’est effectué ce trajet.
 
«Ce livre est une expérience qui est aussi une réflexion sur mon identité. Disons que j’ai, pour le reste de ma vie, trouvé une veine d’or. J’ai trouvé ma mine», résume Raôul Duguay, avouant que ces 500 pages lui ont apporté des réponses. Il espère maintenant que d’autres pourront s’en inspirer.
 
La Bitt à Tibi
 
Outre certains détails anecdotiques sur la vie de l’artiste, le livre offre aussi un regard neuf sur les poèmes et sur les performances scéniques de Raôul Duguay, qui aimait bousculer les conventions, décloisonner les murs et faire vivre librement la musique, le poème et la chanson.
 
La Bitt à Tibi dévoile aussi ses secrets. À l’origine, la chanson a été écrite comme un poème hommage à son père, mais aussi pour sa mère puisque Duguay prend l’accent acadien pour la chanter. Cette pièce, qui s’est taillé une place dans le patrimoine culturel, est à la
fois un hymne aux bâtisseurs qui ont défriché les recoins du Québec et une description de l’Abitibi, terre hostile, mais accueillante et riche de sa forêt, sa nature et ses mines.
 
«Mon intention était de rendre hommage aux gens qui se sont saignés à blanc pour ce pays!»
 
S’il a souvent cherché à attirer l’attention en usant de formules théâtrales surprenantes pour se mettre en scène, la philosophie et la réflexion n’ont jamais été bien loin. Peut-être est-ce une forme de résidu de sa formation en philosophie?
 
«Il y a toujours le philosophe qui surveille le poète… et le poète qui se fout du philosophe», analyse Raôul Duguay, qui se réclame des rêveurs et des utopistes.
 
« Je rêve les yeux ouverts. Ce sont les utopistes et les rêveurs qui changent le monde. Pour créer un autre monde, il faut parfois se retirer du monde tel qu’il est. Parfois, certains me disent que je suis en avant de mon temps, moi je réponds que je suis à temps. Vous, vous êtes en retard!»
 
Par son livre, Raôul Duguay présente ses legs et son héritage, mais il n’est pas près de s’arrêter. En mai, il sera au Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue à Rouyn-Noranda, il sera encore du Festival de jazz de Québec et a accepté d’accoler son nom à la gamme de bières La Bitt à Tibi, produite par la brasserie Belgh Brasse d’Amos.
 
«Ce projet, c’est un pont entre la culture et l’industrie. Un gars de l’industrie qui met un poème sur une bouteille de bière, faut le faire! Et ça s’est fait en Abitibi! Jamais sur cette planète on a pu prendre une bière, lever l’étiquette et lire un poème», claironne Raôul Duguay, qui ce faisant, fournit un nouvel exemple pour illustrer sa capacité de surgir là où on ne l’attendait pas : sous l’étiquette d’une blonde froide, dans le mélange de l’eau des Eskers et de la poésie, dans un mariage avec le commerce d’une brasserie.
 
« Beaucoup de choses nous divisent. Moi, j’unifie et je crois qu’il faut aller toujours à la rencontre de nos différences», conclut le poète. 
 
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Raôul Duguay : l’arbre qui cache la forêt est publié aux éditions CRAM. L’auteure, Louise Thériault, a publié antérieurement le livre
Serge Fiori : s’enlever du chemin . En parcourant le livre, le lecteur est tantôt gêné par les détails des premières amours, tantôt témoin impuissant des abus subis et tantôt complice de plusieurs grands succès de Raôul Duguay.

Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.