Par Anne-Laure Bourdaleix-Manin, Ph.D, muséologue et historienne de l’art

Lorsqu’il est question d’institutions muséales, on pense très logiquement au terme «musée». Cependant, il existe plusieurs types d’institutions muséales dont les appellations et les mandats diffèrent. En Abitibi-Témiscamingue, il existe des musées, soit des lieux qui conservent, collectionnent, étudient et diffusent, tel que le Musée minéralogique de Malartic; des centres d’exposition dont la mission principale est de diffuser tant au niveau des arts visuels que d’autres disciplines (histoire, sciences, anthropologie), il y en a cinq regroupés sous forme d’association (ACÉAT); et des lieux d’interprétation, qui mettent en valeur un territoire/patrimoine souvent in situ tel que la Maison du Frère Moffet.

L’apport considérable de ces institutions qui sont au nombre de 22 actuellement en région est à rappeler, car il est bien souvent sous-estimé. Combien de milliers d’élèves de l’Abitibi-Témiscamingue qui n’ont pas accès aux grands centres et à leurs offres culturelles peuvent toutefois bénéficier d’expériences enrichissantes et épanouissantes grâce au travail des institutions muséales de leur région à un coût dérisoire? Ces ouvertures sur le monde, la culture, leur histoire et celle des autres sont essentielles à leur éducation de citoyen réfléchi et conscient des enjeux contemporains. Il en va de même pour les familles qui ont accès toute l’année à des activités et sorties de qualité.

Il y a eu plusieurs tentatives depuis les 20 dernières années pour travailler à une représentation via un réseau muséal, afin de rendre nos institutions régionales plus visibles, plus fortes et de développer un discours collectif sur les conditions d’existence de ces institutions et leurs mandats. La vastitude du territoire, l’ouverture saisonnière de certaines institutions, le roulement de personnel sont parmi les éléments qui ont pu nuire et nuisent encore à l’établissement d’un réseau consolidé. Le manque de ressources financières pour pérenniser un poste de coordination permanent et non tributaire des subventions par projet est également un facteur d’affaiblissement de cette volonté pourtant très louable d’exister ensemble!

Les institutions muséales de la région sont aux prises avec des problématiques récurrentes depuis une décennie, soit un sous-financement et une non-indexation des subventions gouvernementales; une difficulté notoire à recruter du personnel qualifié; des dépenses croissantes reliées à l’éloignement (transport d’œuvres, d’expositions, déplacement d’artistes ou de spécialistes). Toutefois, ces éléments n’empêchent pas celles-ci de fonctionner et de démontrer un grand dynamisme et une débrouillardise pour proposer sans cesse des activités originales, des expositions de grande qualité, des expositions maison qui expliquent l’histoire, les enjeux reliés à l’Abitibi-Témiscamingue, mais au prix d’efforts et de concessions élevés.

Il est intéressant de relever qu’à travers la plupart des institutions, il est possible de suivre l’histoire de la région : des commencements géologiques (Centre thématique fossilifère de Notre-Dame- du-Nord) à l’établissement des Premiers Peuples (l’exposition Ninawit Apitipiwinik de Pikogan); de la colonisation (le Fort Témiscamingue, la Maison du Frère Moffet de Ville-Marie, Le Domaine Breen de Saint-Bruno-de-Guigues, le Musée de Guérin, l’église de Pikogan, L’École du Rang II d’Authier, la Maison Dumulon de Rouyn-Noranda, le Lieu historique national du Canada Le Dispensaire de la Garde à La Corne,  le Lieu historique T.E. Draper / Le chantier Gédéon à Angliers, le Musée de la gare de Témiscaming, Le Musée de la Poste et la Boutique de la forge à Saint-Marc-de-Figuery), au développement des mines (Cité de l’Or de Val-d’Or, Musée minéralogique de Malartic), à l’immigration et aux conséquences de la Première Guerre mondiale (Église orthodoxe russe de Rouyn-Noranda, Camp Spirit Lake de Trécesson), pour poursuivre sur l’histoire plus contemporaine, les arts et l’artisanat, à travers les 5 centres d’exposition et le Palais des arts-Maison Hector-Authier d’Amos.

Les réalités rencontrées par les institutions muséales et le réseau muséal en Abitibi-Témiscamingue sont très similaires à celles des autres régions dites éloignées du Québec, mais aussi plus généralement lorsqu’il est question de financement, à l’ensemble du réseau muséal québécois. C’est pour cette raison que 13 ans après l’établissement d’une nouvelle politique muséale au Québec et le peu d’impacts concrets des bonnes intentions de cette dernière, un groupe de travail a été mandaté par le gouvernement via le Ministre Maka Kotto, pour solliciter des mémoires auprès des institutions muséales québécoises, et passer en audience des représentants pour chacune des régions. En août dernier, la présidente de l’ACÉAT, Madame Carmelle Adam, et la secrétaire du RMAT, moi-même, ont pu être entendues au sujet des mémoires déposés. Cette vaste consultation provinciale a abouti à un rapport très étoffé sur la situation préoccupante des institutions muséales au Québec et de nombreuses recommandations ont été émises. En voici quelques-unes :

  • Le financement des établissements doit être accru, tant celui provenant de l’État québécois que celui provenant de l’autofinancement et de la philanthropie et du soutien des autorités locales et régionales ;
  • Confirmation du principe que les établissements muséaux agréés sont des agents d’éducation et que la visite d’établissements muséaux est une composante nécessaire et obligatoire de la formation scolaire ;
  • Confirmation du principe que les établissements muséaux sont des composantes de toute politique ou de toute action du gouvernement du Québec et des instances municipales et régionales en matière d’aménagement et d’occupation du territoire et doivent être pris en compte de façon conséquente ;
  • Confirmation du principe que les établissements muséaux sont des ressources devant être mises en valeur par toute politique ou toute action du gouvernement du Québec et des instances municipales et régionales en matière de soutien à l’industrie touristique ;
  • Confirmation du principe que les établissements muséaux agréés sont des collaborateurs de toute politique ou de toute action du gouvernement du Québec et des instances municipales et régionales en matière d’accueil et d’intégration des personnes immigrantes.

Une population cultivée, éduquée est la base d’une société saine et démocratique. Le rôle des institutions muséales dans l’éducation, la diffusion et le transfert de connaissances dans un cadre plaisant, ludique, différent, contribue au développement humain et économique d’un territoire.

«Vois-tu, petite, le succès d’un musée ne se mesure pas au nombre de visiteurs qu’il reçoit, mais au nombre de visiteurs auxquels il a enseigné quelque chose.» Georges Henri Rivière


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