Virginia Pésémapéo Bordeleau est peintre, poète, romancière. Elle est avant tout une femme d’une grande intelligence, d’une admirable générosité et d’une exquise compagnie: elle sait rire. Je la rencontre pour faire un papier sur elle à la suite de sa participation au Salon du livre de Tahiti en novembre dernier. À la fin de notre discussion, je revisite le questionnaire de Proust avec elle. J’ai préparé dix questions. À la neuvième, elle doit me dire en quoi elle souhaiterait se réincarner. «Un nègre», décodent mes oreilles. «Pour écrire vos livres?» m’enquiers-je. Le rire de Virginia. De bon coeur. Limpide. Contagieux. Mon rire amusé. En fait, mes oreilles m’ont trompé: Virginia voudrait se réincarner dans «un aigle».

L’écriture de Virginia Pésémapéo est aussi limpide que son rire. Elle se caractérise par une tentative d’affirmation identitaire qui se décline sur plusieurs tons, dont l’occupation du territoire et la question de l’altérité. C’est une écriture joyeuse, qui réinvente les conditions d’une communion possible entre l’homme et la nature, qui réhabilite l’homme dans son humanité malgré la douleur de l’existence. C’est une écriture simple, dépouillée des fioritures. Le titre de son unique recueil de poèmes, De rouge et de blanc, souligne d’emblée et sans équivoque ce projet. L’auteure y explore des thèmes tels le choc de la rencontre de l’autre, le métissage, la douleur de la perte du territoire, mais c’est toujours pour mieux se définir:

«Je suis de promiscuité,

de trois enfants par lit.

Je suis de fierté farouche,

de confort et d’indifférence.

[…]

Je suis riche de différences,

Marquée au fer du paradoxe.

Je suis de blanche et de rouge lignée.»

Cette même préoccupation se retrouve dans l’œuvre romanesque de Virginia Pésémapéo Bordeleau. L’ourse bleue se construit autour d’un voyage dans le temps, dans l’espace et dans le rêve, où le travail de mémoire sert à restituer à l’héroïne la mesure de son moi. Quant à son dernier roman, L’amant du lac, c’est un hymne à l’érotique solaire, au mouvement sensuel du corps amoureux, qui permet aux personnages de se réapproprier leur identité première, c’est-à-dire leur humanité. Faciles à lire, ces textes sont marqués par le truchement d’une langue douce et paisible où les mots algonquins se vident de leur sens dans la syntaxe française. De plus, l’oral se mêle à l’écrit, offrant ainsi un bel exercice d’ouverture et de métissage au lecteur. La description des paysages, la luxuriance de la nature, l’érotisation de chaque élément dans L’amant du lac en font un objet d’art d’une fort belle facture.   

Présentée comme une «auteure amérindienne du Québec», Mme Pésémapéo Bordeleau déplore le fait que les auteurs amérindiens aient été absents des corpus littéraires québécois jusqu’au début des années 70. Au cours de notre discussion, elle évoque allègrement son enfance dans la réserve, sa scolarisation en français, la perte du territoire des autochtones, leur mode de vie, son expérience au contact des autres peuples, etc. Pour elle, c’est toujours une opportunité unique de découvrir l’autre et de s’enrichir. Une belle discussion à continuer à bâtons rompus à travers son oeuvre…

Le dernier roman de Virginia Pésémapéo Bordeleau, L’amant du lac, est paru chez Mémoire d’encrier en 2013.

Virginia Pésémapéo Bordeleau a revisité le questionnaire de Proust avec moi.

  1. Quel est votre juron préféré?

Je n’en ai pas. Je ne sacre pas. Peut-être une fois, quand j’ai dit «tabarnak». On va dire «tabarnak».

 

  1. Quel est votre mot préféré?

 

  1. Quel est le mot que vous détestez le plus?

 

  1. Quel est votre drogue favorite?

Le café.

 

  1. Quelle est la toile que vous auriez aimé peindre?

«Le printemps» de Botticelli. Je ne peins pas de cette manière, mais il y a tellement de poésie dans ce tableau!

 

  1. Quel est le livre que vous auriez aimé écrire?

Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar.

 

  1. Quel est le bruit que vous préférez?

Le rire de ma petite-fille.

 

  1. Quel est le bruit que vous détestez?

Le ronflement.

 

  1. Quel est l’animal ou la chose dans lequel vous aimeriez être réincarnée?

Un aigle.

 

  1. Quelle est la qualité que vous préférez chez l’Autre?

L’humanité.

 

 


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