Je comparerais l’artiste plutôt à un athlète olympique qu’à un petit entrepreneur. En effet, consacrer sa vie à une activité artistique donne avant tout la satisfaction d’avoir accompli une sorte d’exploit personnel. Admettons qu’il existe de rarissimes Céline Dion qui ramassent le jackpot; mais en moyenne, si le but était l’argent, mieux vaudrait lâcher l’art et se contenter de vendre des chars. Ce qui compte pour nous, c’est le sens qu’on
produit, pas combien ça paye.
Dans les villes pourvues d’un milieu artistique autonomisé, les artistes produisent en fonction des autres artistes et d’un public très restreint. Cela leur permet de se concentrer sur leurs recherches de pointe,
souvent très intéressantes d’ailleurs. Par contre, l’esthétique spécialisée qu’ils développent semble aride et rébarbative au grand public, qui déserte les lieux consacrés à ce type d’art.


En région, le milieu culturel est si petit qu’il serait impossible de s’y réfugier avec une attitude semblable. L’artiste n’a pas d’autre choix que d’essayer de se faire comprendre, sinon, il va rester tout seul dans son coin avec sa vérité. Son appartenance à la communauté n’a rien d’un choix élégant, c’est une obligation vitale, et c’est devant cette société qu’il se sent appelé à justifier sa place.

 

Mais pourquoi rester en région si on peut aller chercher de l’oxygène intellectuel et esthétique tranquillos avec les copains en ville ?

 

Quand il n’y a pas moyen de faire fi de la réception du public, l’artiste est forcé d’aborder l’esthétique comme un lien social (ce que les gens sont presque mûrs pour trouver « beau » ou intéressant à regarder) et non pas comme une affirmation d’autorité (ce que le directeur du musée trouve légitime esthétiquement).


J’ai toujours peint, j’ai fait une maîtrise en arts visuels et je me tiens au courant de toutes les formes d’art depuis 30 ans. Mais je me trompe parfois, comme tout le monde, y compris ceux qui sont en position d’autorité… qui sont plus à risque selon moi de monter en épingle, dans leurs spéculations, des choses qui ne devraient pas l’être.

 

Pour moi, l’esthétique n’est basée sur rien si elle omet l’élément irremplaçable que constitue la résistance du public. En développant par la force des choses un rapport quasi de personne à personne avec mes mécènes, mes acheteurs de tableaux ou avec les participants à mes processus créatifs, en exposant dans toutes sortes de lieux, je me force à vivre une remise en question constante, et je crois que c’est vraiment fortifiant pour mon évolution. Le fait de devoir me réaffirmer sans cesse en tant qu’artiste me force à un engagement total dans mon projet de carrière qui est aussi un projet de vie, presque une lutte. Et ça, je crois que les gens le comprennent et le reconnaissent.


Bref, la stratégie que je peux me permettre à Rouyn-Noranda mais qui serait difficilement possible à Montréal, c’est de pratiquer un art pas moins exigeant que l’art contemporain institutionnel, mais en l’expliquant.


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