Plusieurs adeptes de théories aiment donner aux chiffres une fonction d’équilibre. Une marche de 20 minutes par jour pour maintenir une bonne santé, rire 15 minutes par jour pour évacuer le stress et sécréter des endorphines, consacrer 10 minutes par jour à une activité de méditation ou encore la règle du 50/30/20. 

Cette règle de budgétisation, attribuée à la sénatrice américaine Elizabeth Warren qui la détaille notamment dans son livre All Your Worth: The Ultimate Lifetime Money Plan, est sa recette ultime pour un budget équilibré. 

En somme, son calcul consiste à réserver un pourcentage donné pour faire face au coût de la vie : 50 % des revenus pour les besoins fondamentaux comme le logement, la nourriture, l’habillement, 30 % pour tout ce qui est loisirs et autres éléments destinés à se « faire du bien » et 20 % pour l’épargne ou le remboursement de ses dettes. 

Sur papier, ça semble relativement sage, sauf que, en ce moment, rien ne va plus. 

Le coût des logements a bondi considérablement ces dernières années, et ce, partout au Québec. Terminé le temps où, si l’on habitait loin des grandes villes très densifiées, on pouvait se dire « au moins, ça ne coûte pas cher se loger ». Cette époque est révolue. 

Mon premier appartement, un petit deux et demi alors que j’étais étudiante au cégep, me coûtait 270 $ par mois. Cette année, je glane les petites annonces pour mes enfants qui prendront la route collégiale et les mêmes pièces valent aujourd’hui le triple du prix, quand on a de la veine! 

Alors les gens s’entassent. Certains optent pour partager non seulement un quatre et demi avec des colocataires, mais il arrive même que des chambres soient partagées à deux, faute de moyens pour en avoir une privée. C’est dire… 

Selon le seuil d’équilibre budgétaire conseillé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), tout au plus 30 % des revenus devraient être consacrés au loyer. Ainsi, un petit appartement à 1 350 $ par mois exigerait un revenu annuel de 54 000 $, soit près de 20 000 $ de plus que le seuil de la pauvreté! 

Lors d’une course récente, un chauffeur de taxi de Rouyn-Noranda me confiait : « C’est mort ici. Les gens sortent moins. Ça bouge moins. Beaucoup n’ont plus de moyens. Des logements, il y en a, mais à 2 000 $ par mois, c’est pas pour tout le monde. » 

Je dois dire que cela m’inquiète. 

Quand on peine à payer son toit et les autres frais fixes, la marge se trouve dans l’alimentation et le superflu que sont les petits plaisirs et les divertissements. Pour certains, cela peut rimer avec une forme d’isolement social, de retraite forcée. 

Il m’arrive régulièrement de me retrouver au supermarché, de regarder des étalages et de me dire que, pour certaines personnes, il est sans doute impossible de joindre les deux bouts. C’est encore plus vrai lorsque je constate que, au rayon des viandes, des puces antivols sont apposées sur des pièces de viande. 

J’ai l’impression de me retrouver dans un roman, comme suspendue, à attendre d’être témoin d’un larcin de Jean Valjean qui, volant un pain, s’enfuirait ensuite avec, à ses trousses, celui qui se sentira l’autorité de dire qu’il avait tort d’essayer. 

« La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres. » – Les Misérables, Victor Hugo 

Comprenez-moi bien, je n’incite personne au vol ou à la témérité. Seulement, je ne peux me résoudre à condamner quiconque qui, faute de choix, voit ses options fondre comme les dernières traces de l’hiver, qui remplissent à torrents le fossé des inégalités. 

Je dois le dire, ça m’inquiète. Notre société n’est pas si juste… 


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.