Pour cette première réflexion sous le thème de l’incongruité médiatique, un thème qui reviendra dans cette chronique suivant l’actualité culturelle et médiatique, je vous propose de revenir sur la polémique entourant l’Église catholique et son souhait d’intervenir dans l’éducation à la sexualité. Dans la semaine du 7 janvier, l’archevêché de Montréal relayait une invitation lancée par l’abbé Robert Gendreau et le Dr Raouf Ayas proposant aux parents d’enfants d’âge scolaire de les retirer des nouveaux cours d’éducation à la sexualité devant s’insérer dans le cursus scolaire des écoles primaires cette année. On propose aux parents de s’occuper eux-mêmes de l’éducation à la sexualité de leurs enfants et on les invite à se procurer un ouvrage préparé par l’abbé Gendreau et le docteur Ayas (l’ouvrage a été retiré d’Amazon depuis). Devant le tollé suscité par cette invitation, l’archevêché de Montréal a rapidement pris ses distances, soulignant le fait qu’il s’agissait d’une initiative propre aux auteurs, et non d’une position officielle de la part du clergé.

 

Cette nouvelle missive fait toutefois la lumière sur des problèmes majeurs de notre société dans ses rapports à l’enfance, à la sexualité et à leurs représentations respectives. Soulignons d’emblée, non sans un léger sarcasme, l’incongruité de ce repli dans le contexte d’un débat plutôt malsain sur la soi-disant laïcité de l’État. La parution de cet ouvrage, ainsi que certains commentaires socionumériques l’accompagnant, se révèlent d’une ironie qui dépasse l’entendement!

 

Sur une note plus sérieuse, l’ouvrage de l’Abbé Gendreau et du Dr Ayas fait sans doute réagir parce qu’il traduit, parfois très maladroitement, un profond malaise lié à l’éducation à la sexualité et, de façon plus fondamentale, à l’enfance en général. D’entrée de jeu, les auteurs s’en prennent au gouvernement, qui imposerait un programme beaucoup trop prématuré pour des enfants d’âge scolaire. Ils affirment par la suite que « il est en effet reconnu par les psychologues les plus crédibles que l’enfant vit une période de latence de 6 à 12 ans environ, il serait comme sexuellement endormi. Il sera donc toujours préjudiciable au sain développement de l’enfant de forcer sa pudeur naturelle. » (Sur un ton plus léger, j’aimerais ajouter que le mot « pudeur » est le dernier qui me vient en tête lorsque je vais dans la cour d’école chercher mes enfants…)

 

En faisant ainsi référence à la période de latence, les auteurs renvoient – peut-être malgré eux? – à Freud et à ses Trois essais sur la théorie sexuelle, parus en 1905. L’ironie réside ici dans le fait que Freud défait dans cet ouvrage le mythe romantique d’une enfance asexuée. Pour Freud, l’enfance est naturellement sexuée (et non sexualisée, nuance), au même titre que les autres phases de la vie humaine. Ce qu’il entend par « période de latence » n’a donc rien à voir avec ce que sous-tendent l’abbé Gendreau et le docteur Ayas; loin d’être absente, la pulsion sexuelle perdure pendant cette période, mais de façon un peu plus intériorisée. C’est le moment où apparaît le surmoi, cette instance qui instaure la notion de l’interdit et de la censure dans la psyché de l’individu. C’est aussi le moment parfait pour instaurer chez l’enfant les notions de respect, de consentement et d’acceptation de soi et de l’Autre – car, rappelons-le, ce sont ces notions qui figurent dans le programme d’éducation à la sexualité.

 

Ce qui est déplorable ici, c’est que l’idée d’une enfance sexuée choque tout autant en 2019 qu’en 1905. Comme je l’indique souvent à mes étudiants, il ne s’agit aucunement de concevoir l’enfance à travers le prisme d’une sexualité adulte, ce qui relèverait de la sexualisation et non de la sexuation. Le malaise que suscite l’idée d’une enfance sexuée dans une société dont la culture promeut sans arrêt une hypersexualisation de la jeunesse est très paradoxal. Ne serait-il pas plutôt primordial d’équiper nos enfants pour faire face à ce paysage médiatique problématique? Après tout, comme Freud l’indique, le fait de croire à une enfance asexuée est une erreur « lourde de conséquences, car c’est à elle, principalement, que nous devons notre ignorance actuelle des conditions fondamentales de la vie sexuelle. » 

 

Il serait grand temps de mettre un terme à cette ignorance!