Les brocanteurs amateurs font des découvertes extraordinaires dans le sous-sol des églises de quartier. Ils dépoussièrent parfois des objets inusités : des chaudrons de fonte pas levables, de gros outils agricoles faits pour des chevaux indomptables et des cartes pas fiables accompagnées de certificats de colonisation pas regardables. On trouve aussi une grande quantité de machins servant à fabriquer d’autres machins dont on ne connaîtra sûrement plus l’utilité. À force de fouiller, on réalise qu’il y a des univers entiers d’objets qui ramassent la poussière dans les brocantes et des galaxies de savoirs qui ont été enfouis avec eux. Ça fait un peu peur.

 

Parce que oui, des gens inventent beaucoup de gadgets chaque année, mais nous perdons aussi des savoirs par milliers. Ceux de nos aïeux : cultiver en terre nordique, composer avec les sols capricieux, l’air changeant, les oiseaux et le vent, conserver notre nourriture pour l’hiver, longtemps. On n’apprend plus cela. Ça prend du temps, beaucoup de temps… mais il faut bien que quelqu’un produise de la nourriture. Des savoirs spécialisés sur la fabrication des maisons, des instruments de musique, des produits ménagers, des œuvres d’art, des vêtements, ainsi de suite. Tout prend du temps. Et puis, il fallait la cultiver avec des objets, cette terre. De l’agriculture biologique, dirait-on aujourd’hui. Après avoir exploré, nous y sommes revenus. Certaines choses appartenaient à une époque et ont disparu avec elle alors qu’elles n’auraient pas dû le faire.

 

Il y a eu un temps, pas si lointain, où les Canadiens français n’avaient pas accès à beaucoup de produits industriels. La production locale suffisait à presque tout. Il n’y avait pas d’avant-midi à maximiser pour un patron. Le temps passait comme avant, point. Il fallait « tenir » le foyer, ce qui incluait la production d’un grand nombre d’articles. Les femmes savaient fabriquer de leurs mains, cultiver aussi. Personne n’était là pour s’indigner du temps perdu parce que « le temps c’est de l’argent ». Avec une telle mentalité, elles n’auraient jamais fait le moindre cintre tricoté à loisir, et fort à parier qu’on ne trouverait plus de petites maisons molles pour habiller les boîtes de mouchoirs dans les brocantes.

 

Il était important, pour la suite des choses, que chaque enfant sache assurer à terme la subsistance du foyer. Car dans le temps d’avant, on prenait soin de passer son savoir au suivant. Le passé avait une grande valeur. On ne regardait pas en arrière pour conclure que tout était démodé, dépassé, arriéré. Le passé était un héritage pour le présent. On aspirait à le reproduire, puis à y ajouter son grain de sel, si on en avait l’audace. Rares étaient ceux qui prétendaient révolutionner le monde des charrettes à chevaux. Ce n’était pas un manque d’ambition, mais plutôt de la modestie. Nos artisans modernes, plein de « modestie à revendre », cherchent aussi à garder vivant non pas un produit fini, mais leur savoir-faire. L’UNESCO a d’ailleurs un joli nom pour ça : le patrimoine culturel immatériel.