Nous venons tout juste de traverser une autre saison des budgets où nous avons eu droit à un magnifique exemple de dilemme cornélien. Qu’est-ce qu’un dilemme cornélien ? Il s’agit de l’impasse dans laquelle est enfermé un personnage qui doit choisir entre raison et sentiments et dont le résultat de sa décision sera de toute façon mauvais. Nous avons donc le gouvernement provincial qui veut réduire le déficit et la dette, quitte à implanter de désastreuses mesures d’austérité, versus le gouvernement fédéral qui annonce des investissements massifs, mais à crédit. Dans un cas comme dans l’autre, l’objectif de redressement des finances ne sera pas atteint.


S’il faut se pendre…


Au Canada comme ailleurs, l’argent est créé par les banques au moment où elles accordent un prêt, non sous forme de billets, mais plutôt d’une simple écriture comptable. Autrement dit, l’argent et la dette sont actuellement deux côtés d’une même médaille. Emprunter à une banque crée donc de l’argent neuf, mais le remboursement de cette dette entraîne la disparition pure et simple de cet argent. Mais pourrait-il en être autrement ?


Au service de la dette


La conséquence de ce mécanisme vicieux est que si le gouvernement emprunte massivement, comme le projette actuellement le Parti libéral du Canada, et injecte cet argent neuf dans l’économie, il augmente la quantité d’argent en circulation et fait effectivement tourner l’économie et l’emploi. Il y arrive toutefois au prix de l’endettement perpétuel du pays vis-à-vis des intérêts financiers privés et puissants. C’est ce que l’on nomme candidement le service de la dette, qui oblige les payeurs de taxes à verser une rente infinie aux détenteurs de cette dette, les banques privées.


À l’autre bout du spectre, on retrouve l’approche Couillard, la pensée dite « lucide » de la droite économique qui cherche à faire l’inverse, soit réduire les dépenses de l’État et songer à vendre certains biens publics comme on l’a vu dans les années 90 (Air Canada, Canadian National, Pétro-Canada) pour rembourser une dette soi-disant incontrôlable. Afin de justifier cette rigueur budgétaire, un argumentaire séduisant mais fallacieux s’est construit, par lequel on évoque « l’équité intergénérationnelle », « la nécessité de se serrer la ceinture », etc. Le résultat de cette approche est la soumission à la logique froide des créanciers qui entraîne misère, injustice et insécurité. Malheureusement, malgré ces sacrifices, le remboursement des dettes entraîne la disparition de l’argent et donc un ralentissement de l’économie, ce qui, paradoxalement, fait augmenter le poids de la dette par rapport au PIB.


Une banque centrale… et publique


Il existe pourtant une option pour se sortir de cette impasse. Saviez-vous qu’entre 1935 et 1974, la Banque du Canada, notre banque centrale publique, pouvait créer de l’argent neuf, sous forme de prêts sans intérêts accordés aux différents paliers de gouvernements? Au cours de cette période, malgré la grande dépression, la Seconde Guerre mondiale, la mise en œuvre de grands projets d’infrastructure et la construction de l’État-providence, la dette était proportionnellement moins importante qu’aujourd’hui et mieux encore, lorsqu’il y avait paiement d’intérêts, ceux-ci étaient majoritairement dus à la banque centrale et donc reversés au gouvernement.


Nous avons payé en 2014-2015, sur l’ensemble des dettes publiques du Canada, plus de 60 milliards de dollars, soit environ 164 millions de dollars par jour, sur une dette que l’on qualifiera ici, pour rester poli, d’optionnelle.

Une monnaie d’endettement privée est une mine d’or pour les banques et le secteur financier, mais comme le disait si justement Desjardins dans une de ses chansons :

« Le corollaire de cette règle, si t’as pas l’or, tu fais le nègre ! » \