C’est à croire qu’il faut absolument tout dire. En dire le plus possible. Le dire n’importe comment. Le dire sans penser, juste pour le dire, en se vautrant dans la liberté d’expression. Le « Je suis Charlie » devient un fourre-tout. On favorise le contenant au contenu, à la recherche folle de lecteurs, de cotes d’écoute, de « J’aime ». Je cite Kierkegaard, le philosophe : « Les gens exigent la liberté d’expression pour compenser la liberté de pensée qu’ils préfèrent éviter» Fameux : nous sommes à l’ère de vouloir et de pouvoir tout dire, mais en 140 caractères et un hashtag.

 

Après les sports extrêmes, le langage extrême? Bien sûr, le phénomène dure depuis longtemps. Internet, avec ses sites de discussion, ses forums, a ouvert les vannes. Sous le couvert de pseudonymes, mille injures, mille railleries, mille clichés. Il y a aussi la radio de Québec, comparée aux poubelles. Les stations et leurs auditeurs se livrent à une surenchère, fabriquée d’insultes, d’attaques et de généralisations grossières. Ces ennemis sont toujours les mêmes : souverainistes, gauchistes, écolos, syndiqués. Simple, efficace. Et le concept s’étend : Saguenay, Bas-du-Fleuve… Côté langues sales, donc, parce que c’est de cela qu’il s’agit, l’automne ne fut pas propre.

 

Si vous êtes sans emploi, fonctionnaire, infirmière, prof, ne lisez pas ce qui s’écrit sur le net. Vous allez faire une dépression ou considérer une nouvelle carrière de tueur en série. Tous les mots vides, toutes les expressions creuses y passent : paresseux, gras durs, incompétents, enfants pris en otage. Beaucoup privilégient la ligne dure, travail et déménagements obligatoires, beaucoup veulent la loi spéciale, l’armée presque, beaucoup proposent aux manifestants d’aller chez Wal-Mart, à 10 $ de l’heure, s’ils ne sont pas contents. C’est du vent, de la bêtise, sans l’ombre d’une pensée cohérente, ce qui demanderait de la culture et des efforts. Relisez l’intro.

 

Puis, voyez, à Val-d’Or : un seul reportage, et ce fut le bordel. La raison aurait dû tous nous dicter une conclusion : respirer par le nez et attendre la fin des enquêtes. Or, des énormités ont été dites. Sur ces femmes d’abord, traitées comme des moins que rien, des catins, des profiteuses. Sur les Autochtones en général aussi. Val-d’Or est devenu la nouvelle Sodome. Les légendes urbaines pullulent : on n’oserait plus sortir après 20 heures, et des « Indiens saouls », tout le monde en a retrouvé, un matin, sur son perron. Des réflexions d’enfants de trois ans ont été faites sur les policiers. Ce sont des agresseurs, des magouilleurs, des complices : tous sont allés au fond du chemin de bois. Les mauvais mots blessent, corrompent la pensée et, comme disait Camus, ajoutent au malheur du monde.

 

Si on veut tout dire, il faudra savoir comment dire les choses. Il faudra réfléchir avant, un peu. Mais, de plus en plus, nous en sommes à l’expression spectacle, à qui fera le buzz, à qui aura l’attention et, surtout, le dernier mot. Malheureusement. \


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.