Les 125 députés de l’Assemblée nationale, les anciens comme les nouveaux qui seront élus le 7 avril, devraient, ce printemps, lancer un recours collectif contre les mauvaises langues, venues du peeeuuuple, contre ceux qui, du haut de leur cynisme érigé en principe, lancent toutes ces paroles gratuites remplies de raccourcis, de généralisations, d’insultes. Elles abondent : « tous pourris, tous des voleurs, tous des menteurs, tous des crosseurs ».

Vous imaginez la scène ? Au tribunal, pour diffamation !

Pourquoi pas ? Essayez au café, au resto, dans un souper ou sur Facebook : remplacez politiciens par Noirs, Juifs, les garagistes ou les BS, puis ajoutez « tous crosseurs » ou « tous voleurs » ou « tous menteurs» et vous passerez pour un mal élevé et un raciste ignoble, on vous collera un procès aux fesses, peut-être. Ça ne passerait pas. Mais pour les politiciens, c’est facile, c’est de bon ton, de bonne guerre. Ça fait rire, sûrement, ça coupe court aux discussions parfois, ça soulage surtout d’une vraie réflexion, plus poussée, qui nécessite du temps.

Bien sûr, il y a eu Gomery, il y a la Commission Charbonneau, l’UPAC. Des odeurs de merde flottent encore. On a raison de s’indigner, de vouloir punir, par le vote ou la loi, les bandits. Parce qu’il y en a, je ne suis pas une autruche. Comme partout d’ailleurs, dans tous les métiers, dans toutes les couches, chacun à sa manière. Le gars qui encaisse son chèque de la CSST pour mal de dos, mais qui pose sa tourbe, fait son bois, change son bardeau, n’est-il pas lui aussi « menteur », « crosseur » ou « voleur » ?

D’autres se déculpabilisent et se donnent bonne conscience en se disant : « Voler le gouvernement, c’est pas voler, ils nous volent assez de même! » Comme si le gouvernement avait son arbre dans lequel pousseraient des milliards. Travailler au noir, payer cash sans facture, ce n’est pas voler Marois ou Couillard ou le gouvernement, c’est voler ses propres concitoyens, ses voisins, c’est voler les Québécois au complet.

De toute façon, ces odeurs de merde, comme je disais, ne semblent pas trop nous déranger au fond. Regardez les sondages : dans quelques jours, on élira peut-être un gouvernement libéral, le même ou presque qu’on a chassé il y a à peine 18 mois. Réélu, malgré Charbonneau, malgré les perquisitions, malgré le printemps érable et le tapage de casseroles. Et pendant ce temps, les partis qui n’ont jamais gouverné, qui n’ont pas les mains sales, se retrouvent bons derniers. La CAQ dégringole et Québec Solidaire stagne à 9-10% et le vote se concentre autour du Plateau Mont-Royal. Le 8 avril au matin, on se retrouvera avec une Assemblée nationale identique, ou presque, à celles des 30 dernières années.

On semble très bons pour crier « Tous pourris! », pour chialer contre les « vieux partis » (quel terme creux!) et demander sans cesse du changement (quel projet!). Mais quand vient le temps de faire suivre les bottines avec les babines, on aime bien revenir à nos vieilles habitudes confortables…


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.