Pour avoir connu Jérémie Monderie-Larouche (mon ancien boss chez Balbuzard), il m’est apparu normal de le voir réaliser un premier long métrage documentaire avec Le Routier (2013), que vous avez peut-être vu au dernier FCIAT. Je me souviens d’un échange enflammé sur l’essence du documentaire, alors que nous étions attablés au Diable Rond lors d’un souper fêtant le premier anniversaire de Productions Balbuzard. Chacun défendait sa vision du documentaire, notre jeune âge et notre fougue nous cantonnaient chacun dans notre position la plus hermétique, tout en parlant très fort. Près de sept ans après cette conversation, le constat à faire est que le documentaire est vaste, et Le Routier en fait la démonstration.

L’histoire se trace de façon toute simple : deux personnages, une douzaine de chiens et une compétition. On sait dès le départ ce qui sera la conclusion du film, soit une course de traîneau à chiens à Marquette, Michigan. La caméra ne se perd pas dans un exercice de style où il faut chercher un second degré aux paroles, elle s’emploie à suivre et à décrire le personnage, point barre. Les paroles de Carl Paquin-Routhier sont enregistrées comme un monologue intérieur. Ne s’adressant ni à la caméra, ni à un interlocuteur hors cadre, il nous livre l’essentiel de sa relation avec ses chiens avec un naturel et une honnêteté appropriés.

Le Routier est l’exemple du documentaire au service de son sujet. Cela va plus loin dans un plan-séquence où on comprend que le réalisateur doit d’une main filmer le départ de la course tout en retenant de l’autre main la meute de chiens de Carl et Élyse Lessard (sa conjointe, « handler » de la meute). Le motif principal du Routier est de nous embarquer avec les deux protagonistes dans ce qui sera leur première course de traîneaux et de vivre avec eux les émotions engendrées par une telle épopée. La caméra est souvent fixée à même le traîneau, la musique (surtout pendant la course) sert à faire ressentir l’enthousiasme du départ, le montage laisse parfois le temps s’étirer pour nous faire ressentir la hâte et le stress des coureurs.

Au-delà de l’expérience de la course, le film aborde la relation entre le dresseur et ses chiens. Carl et Élyse font de cette relation leur mode de vie. On les voit dévoués envers leurs coureurs sans les instrumentaliser, sans nous donner l’impression qu’ils profitent de leurs chiens. Il s’agit d’un échange ou chaque parti en retire énormément.

Le Routier est en soi un effort collectif où presque tous les employés de chez Balbuzard ont trouvé une place importante au générique. Le récit constitue peut-être une mise en abîme, en ce sens que l’enthousiasme contagieux de Carl à l’approche de sa première course avec sa jeune meute rappelle celui du réalisateur qui signe son premier long métrage entouré de l’équipe qu’il a justement rameutée avec l’aide de sa conjointe Maude Labrecque-Denis. Cette interprétation est peut-être tirée par les cheveux, mais elle rend Le Routier d’autant plus intéressant!


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