Il y a de ces manifestations populaires parfois qui semblent anachroniques. Alors que le shopping sur internet progresse, que les gens interagissent par médias sociaux interposés, au coin d’une rue en juillet est-il encore possible d’apercevoir quelque merveille matérielle tirée de la jusque-là obscure intimité d’un vendeur improvisé? Décalées dans le temps, donc, les ventes de garage? Indémodable entreprise, peut-être. Ceux qui ne veulent pas les voir rejoindre les méandres des traditions passées sont toutefois nombreux, et le plus philosophe dira que ces commerces marginaux répondent à plusieurs besoins, au niveau personnel, social et écologique.


Martin Guérin enseignait déjà le cinéma lorsqu’il se lança à la poursuite de ces échoppes éphémères pour tourner le documentaire Bric à Brac (2003). Il entamait une intrusion dans la culture populaire qu’il poursuivra avec Sortir du Trou (2008) et Voir Ali (2010). Cette première oeuvre se penche d’abord sur la relation passionnée et colorée entre l’humain et le matériel.


Bric à Brac donne l’impression d’une fresque, un ambitieux portrait de toutes les facettes imaginables du prisme énigmatique que sont les ventes de garage. Ce tableau est garni de personnages délurés malgré eux, chacun (outre deux intellectuels, plus détachés) bien ancré dans sa réalité d’acheteur ou de consommateur. Les confessions des intervenants sont entremêlées au montage pour former un propos cohérent sur une tonne de sujets reliés au magasinage itinérant : l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le matérialisme, l’écologisme, la surconsommation, etc.


Parmi les personnages les plus spatiaux se trouve Christian Bourgault, artiste qui porte l’écologisme au cœur de sa démarche. Celui-ci apporte une conception de l’objet non dénué de spiritualité. « Chaque chose a son esprit, chaque chose a son âme, chaque chose a son énergie », souffle-t-il, inspiré, dans sa shed emplie de ses récoltes de garage. Peut-être n’a-t-il pas tort, à voir ce que peut représenter l’objet chez les gens. Les objets sont porteurs de souvenirs, vecteurs d’émotions précises. On se pose plutôt cette question : les choses doivent bien avoir une âme, sinon comment serait-il possible d’entretenir une relation avec celles-ci?


Martin Guérin, ayant senti le besoin d’intellectualiser ce phénomène social, fait appel à deux penseur, l’un éminent anthropologue, Bernard Arcand, et l’autre, prof de philo, Marc Langlois. Improvisant sa pensée on the spot, Langlois babille le produit d’une masturbation intellectuelle livrée sur un ton un peu hautain, comme si sa qualité de philosophe le plaçait sur un piédestal nuageux. Arcand, pour sa part, se fait beaucoup plus lucide et humble, on voit mieux comment son propos s’applique au caractère social des ventes de garage.


Le lieu de tournage (l’Abitibi-Témiscamingue) se justifie par son attrait au kitsch, parce que si les régions ne sont pas le berceau du kitsch, elles sont sûrement la chaise berçante de ce que Kundera définissait comme « le besoin de se regarder dans le miroir du mensonge embellissant et de s’y reconnaître avec une satisfaction émue ». Martin Guérin, avec ce documentaire, ne formule pas une aussi violente critique de la culture populaire. Il s’y plaît, plutôt, à tisser des liens avec ce qu’il semble considérer comme ses semblables. Jamais on ne sent qu’il s’élève au-dessus d’une masse dont il aurait le dédain. Sa fascination pour le collectionneur ordinaire est sincère et tout à fait exempte de condescendance.


Bric à Brac est disponible pour visionnement en ligne gratuit en s’abonnant à vitheque.com.


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