Ceux de la terre, le plus récent roman d’Anne-Michèle Lévesque, mérite amplement le détour. Il s’agit du deuxième tome d’une trilogie intitulée Les Enfants de Roches-Noires, une vaste saga dont le premier volet, Ceux du fleuve, a atteint un tirage de plus de 3000 exemplaires. Le troisième tome, déjà écrit, aura pour titre Ceux de la forêt et devrait normalement sortir des presses au cours de l’automne prochain. Il n’est pas exclu qu’un quatrième volet puisse s’y ajouter : Ceux de la brume. Nous voilà donc en présence d’un projet littéraire sans exemple dans la littérature abitibienne, si l’on fait exception de la suite romanesque en six tomes de Bernard Clavel, Le Royaume du Nord, et de celle, inachevée, de Pierre Yergeau, qui devrait compter neuf titres.

L’ampleur d’un tel projet d’écriture, les ressources qu’il mobilise et le souffle qu’il requiert de son auteure nous confirment dans l’idée qu’Anne-Michèle Lévesque est une écrivaine aguerrie, rompue au métier des lettres. Sa bibliographie compte près d’une trentaine de titres. Certains lui ont valu des honneurs, dont le prestigieux prix Arthur-Ellis pour le roman policier, décerné en 2002. Ce n’est pas rien. Soucieuse de legs, Anne-Michèle a également inspiré la création du Prix littéraire jeunesse Télé-Québec.   

Entrer dans les rangs

L’action de Ceux de la terre se déroule dans le Bas-du-Fleuve, au terme de la Deuxième Guerre mondiale. Cette fois-ci, nous nous retrouvons non pas sur les eaux, mais dans les sept rangs qui s’enfoncent à l’intérieur des terres et dont les noms, énigmatiques et inquiétants (rang du Bossu, rang Croche, rang des Naufragés quand ce n’est pas le Rangfrette), ne peuvent qu’ajouter à l’action une couche de mystère. Ces données géographiques, qui déterminent l’action et le comportement des personnages, sont d’une importance capitale si l’on veut saisir la dynamique qui impose au roman sa logique et ses ressorts. Que l’on soit du fleuve ou de la terre marque des territoires et divise en clans, avec autant de tranchant que les familles siciliennes.

On ne saurait résumer en quelques lignes un roman aussi foisonnant. Toute son intrigue gravite autour de la narratrice, Fabienne Rioux, un personnage attachant, aux amours contrariés mais aussi capable de surprenantes hardiesses. Née dans une famille fourmillante, dont chaque membre sera marqué d’un destin bien singulier, Fabienne rêvera d’une famille nombreuse, mais après avoir lorgné le bel et inaccessible Bernard Lepage, et suite à des unions consanguines avec son cousin Nador Lebel, le barbier du village, elle verra sa progéniture affligée de terribles déficiences.

Héritage littéraire

Cette oeuvre a quelque chose de torrentiel, qui emporte tout. C’est tout l’art du grand roman classique hérité de Balzac et de Pagnol. L’action y est bondissante, les fils narratifs solidement liés, l’intrigue nouée de main de maître. Une fois surmonté le choc de sa langue vernaculaire, on ne peut que s’étonner de la vérité simple, exacte, soutenue, des caractères, des péripéties, des atmosphères. Et, il faut bien le dire, écrire dans un laps de temps relativement court trois romans de près de 400 pages, d’une telle qualité, demande une force de travail, une détermination et un don de soi, qui ont de quoi laisser béat d’admiration.


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