Pour terminer en beauté mes études secondaires, il y a de cela quelques années, j’avais choisi la biologie comme cours optionnel dans un élan d’amour pour le règne animal et un désir d’accomplissement scientifique. Malheureusement pour moi, peu de mes collègues étudiants avaient fait le même choix et cette option fut annulée. L’école étant petite, il y avait un éventail limité de cours et on m’offrit de m’ajouter au groupe d’arts plastiques. Connaissant mes talents fort limités pour le dessin et tout ce qui est création visuelle, je me suis battue pour qu’on m’offre autre chose puisque je me voyais déjà à 30 ans, sans diplôme d’études secondaires et un avenir bien différent devant moi. L’art plastique allait être le cercueil de ma belle carrière d’étudiante. Panique d’adolescente!

Pourtant, il n’y avait pas de quoi m’inquiéter puisque les cours d’arts n’étaient pas obligatoires à l’obtention du précieux D.E.S., comme c’est le cas cette année. Les cours d’arts, tous azimuts, ont longtemps été vus par le
ministère de l’Éducation, les
écoles, les élèves et leurs parents comme des matières relaxes qui permettaient de se reposer
des matières « importantes et difficiles ». Si l’art était une matière obligatoire à l’horaire en première
et deuxième secondaire, sa réussite n’était pas nécessaire puisqu’il s’agissait d’un divertissement, pas d’un apprentissage indispensable. Du moins, c’est ce que le système laissait entendre en n’obligeant pas la réussite de ces cours, et ce, malgré les efforts de plusieurs enseignants compétents et attentionnés. Quel travail frustrant ce doit être
d’essayer de transmettre sa
passion à des jeunes qui trop
souvent n’en voient pas l’importance et qui parfois reçoivent comme message, à la maison : « Au moins, tu réussis bien en mathématiques cette année! »

Au fond, c’est juste de l’art
D’où vient cette conception, trop souvent véhiculée dans notre société, que la pratique de l’art et de sa didactique est moins importante que celle du français, de l’histoire ou encore de la biologie? Sans rien enlever aux autres matières, l’apprentissage de l’art favorise l’extériorisation de soi, le recueillement, l’ouverture sur l’autre, la créativité, la sensibilité et l’expression des sentiments, ce qui est essentiel si en tant que collectivité on souhaite former des êtres équilibrés. La formation artistique, que ce soit l’art plastique,
la musique, l’art dramatique ou la danse, peut être un excellent moyen pour les jeunes de reposer certaines facultés cognitives et de faire baisser la tension causée par les autres cours. De plus, c’est souvent au cours de ces périodes que le sentiment d’appartenance à son école, son milieu, sa culture, sa région est développé. Si pour certains ces intervalles s’avèrent être le moment propice au relâchement, pour d’autre il s’agit d’une motivation, du fer de lance de leur assiduité et de l’ultime raison
qui les retient de décrocher du
système. Pour toutes ces raisons, la présence des cours d’art dans les écoles québécoises n’est plus discutable.

Les petites lettres de noblesse
Si les cours d’art existent depuis plusieurs années, ce n’est que tout récemment que le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport (MELS) a décidé de les rendre aussi importants que tous les autres. Une matière qu’il est
possible d’échouer sans en subir les conséquences ne peut être qu’une matière de second ordre; or ce n’est plus le cas pour les étudiants qui formeront la cohorte 2009-2010. Les premiers enfants de la réforme, nouvellement rebaptisée renouveau pédagogique, seront aussi les premiers diplômés en arts de la province. En effet, la réussite du cours d’art de quatrième secondaire est, depuis l’an dernier, obligatoire pour l’obtention du diplôme d’études secondaires. Si, au début, les élèves ont pris ce changement un peu à la légère et que les enseignants se sont évertués à expliquer aux parents l’importance de la réussite du cours pour leurs enfants, les choses sont maintenant en place et les arts sont finalement devenus une vraie matière au même titre que les autres.

Le Ministère prouve l’importance qu’il accorde aux arts en sanctionnant son apprentissage rendu obligatoire à toutes les années du secondaire, mais ça ne se traduit malheureusement pas dans sa gestion de la grille matière. En effet, les jeunes ont droit à deux périodes par semaine pendant les deux premières années de leurs études secondaires et une seule période par semaine pour les trois suivantes. Comment un enseignant, aussi dévoué soit-il, peut-il arriver à enseigner la création d’œuvres originales, l’interprétation de classiques et l’appréciation de l’art en si peu de temps? Pourquoi rendre cette matière obligatoire si on ne se donne pas les outils pour en permettre la réussite? C’est comme si d’un côté, on disait à la population et aux enseignants que la culture à l’école était primordiale et que de l’autre, on ajoutait qu’elle est importante, mais pas trop souvent. Pourtant, l’art à l’école est primordial, au moins autant que toutes les autres matières, afin de créer des adultes en devenir qui seront ouverts sur le monde, la culture et la diversité.

L’art, pas que secondaire
Et puis on ne doit pas trop compter sur l’enseignement primaire pour procurer aux enfants autre chose qu’un simple éveil à la chose artistique. La formation des futurs maîtres ne leur offrant qu’un seul cours de didactique des arts (et un deuxième en cours optionnel, s’ils le désirent), les apprentis-enseignants se voient, malgré de bonnes intentions, démunis quand vient le temps de faire découvrir la chose artistique. En raison du manque de formation, du manque de temps de préparation et du matériel inadéquat dans les écoles, les cours d’arts plastiques deviennent des périodes de simple bricolage. Et c’est sans compter que la formation en danse est souvent laissée à des activités parascolaires auxquelles peu de garçons participent, et que les activités d’art dramatique ne sont réalisées que dans le but de préparer un spectacle de Noël ou de fin d’année, sans qu’on prenne la peine de transmettre des notions d’interprétation, de port de voix ou autres. Heureusement, il y a des cours de musique! Ceux-ci offrent, la plupart du temps, un enseignement structuré et permettent une acquisition de connaissances durables. Pourtant, il existe un programme universitaire d’enseignement des arts tant au primaire qu’au secondaire, et on retrouve de tels enseignants dans d’autres coins de la province; par contre, les choix budgétaires des écoles de la région font que les spécialistes en arts dans les petites écoles de l’Abitibi-Témiscamingue sont pour la plupart spécialisés en musique.

Si l’on établit en tant que société que l’apprentissage de la danse, du théâtre, de la musique, de la peinture, de la sculpture ou toutes autres formes d’expression créative revêt une certaine importance, il va nous falloir, à tous, vivre et partager cette culture. Car l’éducation culturelle n’est pas la responsabilité exclusive des enseignants, mais bien celle de nous tous qui interagissons avec des enfants : la meilleure manière de comprendre et de démystifier l’art est de le vivre au quotidien, dans des contextes variés, au contact de gens passionnés et à l’enthousiasme contagieux.

Pour terminer mes études secondaires en beauté, je me suis retrouvée dans un cours de musique entourée de jeunes qui jouaient d’un instrument depuis quelques années, tandis que je ne savais même pas lire une partition. J’y ai appris beaucoup, mais j’y ai surtout compris que je pouvais moi aussi créer quelque chose d’artistique, que je pouvais en comprendre les rouages et développer mon oreille musicale, et que le talent, ça se travaille à coup d’intérêts. Au bout du compte, c’est ce cours optionnel, un cours d’art, qui a apposé le dernier clou dans le cercueil de la future carrière scientifique qui se dessinait devant moi.


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