J’ai eu la chance de vivre une partie de ma vie dans l’intérieur des terres du Nitassinan. C’est donc entre le 117e et le 173e mile au nord de Sept-Îles et à Tshemanipishtiku (Sainte-Marguerite 3) que j’ai vécu mon enfance et appris de nos aînés. Nos parents et nos grands-parents ont toujours valorisé et assuré la transmission de notre langue, de notre culture et de nos traditions innues. Leurs enseignements et leurs savoir-faire m’ont fait constater à quel point le caribou, « atiku » dans ma langue maternelle, occupait une place importante dans notre culture et que le lien que nous avons avec lui est sacré. Le déclin des hardes, dû entre autres à la déforestation ainsi qu’aux perturbations de l’habitat du caribou par les compagnies minières, dans les dernières dizaines d’années a forcé la mise en place de mesures dérisoires afin de protéger l’espèce. En effet, ça fait déjà quelques années que nous diminuons considérablement notre chasse dans le but de protéger le caribou de la rivière Georges. De l’autre côté, le gouvernement et son ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs et celui de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques ne font rien pour garantir la survie du cheptel. Tout le fardeau est sur nos épaules, comme si le déclin du caribou était de notre faute et que d’arrêter de le chasser était la solution. Comme si on n’avait pas su, pendant des milliers d’années, comment chasser et respecter atiku.

La baisse des populations du caribou a des effets considérables dans nos vies d’aujourd’hui. La viande, qui se fait de plus en plus rare, est désormais parfois vendue – ce qui était anciennement impensable considérant nos valeurs de partage. La répartition des quelques individus à chasser provoque d’importants différends entre les Premières Nations. Par conséquent, c’est non seulement notre culture et nos traditions qui écopent du déclin du caribou, mais nos valeurs changent aussi en raison du colonialisme. Mon grand-père, un Innu de Matimekush (Schefferville), me disait « sois toujours fière de ta culture, de ta langue et de ton identité innues », mais comment voulez-vous que plus tard, je puisse en être fière si atiku, lui en qui s’enracine notre identité, disparaît? Ça voudra dire que je n’en ai plus, d’identité.

Je ne pense pas que j’ai besoin de vous dire qu’enlever l’identité à un peuple c’est aussi faire en sorte que l’assimilation de celui-ci persiste. Ce que je vous raconte n’est pas unique à mon territoire ancestral. Le caribou devrait pouvoir continuer d’être maître partout dans la forêt boréale, dans la toundra et dans les montagnes. Que ce soit sur le Nitassinan ou sur le territoire anicinabe, l’inaction du gouvernement concernant le caribou est raciste et ses ministères devraient se conscientiser sur le génocide culturel qu’ils sont en train d’infliger une fois de plus aux prochaines générations de nos peuples.


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