Lorsqu’on grandit en Abitibi-Témiscamingue, on se retrouve presque inévitablement, à l’aube de la vingtaine, devant l’obligation de faire un choix : partir ou rester. Partir d’Abitibi-Ouest pour étudier à Rouyn-Noranda. Quitter Rouyn-Noranda pour les grandes universités de Montréal, Québec, Sherbrooke et les autres, ainsi de suite. Si certains se réjouissent de l’effervescence de la grande ville, c’est aussi à ce moment-là que d’autres, dont je fais partie, saisissent pour la première fois la profondeur de leurs racines et de leur attachement à la réalité régionale. En partant de Rouyn-Noranda une première fois en 2016 et en la retrouvant quelques mois plus tard, j’ai su que je ne me sentirais nulle part autant chez moi que dans cette ville et dans cette région. Ainsi, me suis-je mise à affirmer de plus en plus fort mon appartenance à la région tout entière, sans réaliser que j’osais parler d’elle en grande savante alors que je n’en connaissais que des fragments, excluant nombre de petites collectivités, de communautés autochtones et d’enjeux incontournables.

La dernière année et demie m’a menée, entre autres par mon passage à la coordination du contenu rédactionnel de L’Indice bohémien, à découvrir ma région comme jamais auparavant, en entrant en contact avec les acteurs culturels de chaque MRC, en me sensibilisant à leurs réalités, en échangeant avec des citoyens mobilisés, aux projets fous et rassembleurs. Puis, je me suis établie au Témiscamingue où je côtoie ses divers milieux. Ce qui m’a saisie, entre autres, dans cette redécouverte de mon territoire, c’est le constat encore plus concret de son étendue et la façon si particulière que l’on a de l’occuper.

Vous le savez comme moi, la région redouble d’ardeur pour attirer main-d’œuvre qualifiée, jeunes et nouveaux arrivants. Si, à l’échelle régionale, la tendance démographique projetée d’ici 2041 demeure relativement stable, cela semble se dessiner au profit de Rouyn-Noranda et de la Vallée-de-l’Or, alors que l’Institut de la statistique du Québec prévoit plutôt une baisse démographique pour l’Abitibi-Ouest et le Témiscamingue, puis une très faible augmentation pour la MRC d’Abitibi. Ainsi, un déséquilibre semble en voie de se créer entre les secteurs plus urbains de la région et leur périphérie; et ses territoires plus ruraux, agricoles et excentrés, que l’on délaisse lentement, mais sûrement. N’est-ce pas pourtant précisément cette diversité des milieux et leur étendue qui fait toute la richesse de notre territoire?

Dans l’Est témiscamien, où je me rends chaque semaine, les villages comptent moins de 500 habitants. Là-bas, l’exode de la population, directement lié à celui des services de proximité, est tout à fait tangible. Les adolescents que je côtoie dans ces communautés sont brillants, créatifs, curieux et ambitieux, mais souvent freinés dans leur accès aux services et aux loisirs par les distances à parcourir, par l’absence d’un service de transport en commun efficace ou encore par la couverture Internet déficiente. Selon les endroits, ils ne sentent pas toujours que leurs besoins sont pris en compte dans le développement de la communauté, alors qu’il serait plus que pertinent de les placer au centre de la revitalisation du milieu.

On pourrait s’interroger sur la réelle nécessité de sauvegarder ces petites agglomérations où l’on a rarement besoin de mettre les pieds. Au-delà du fait qu’elles font partie de notre ADN collectif, qu’elles abritent nombre de trésors cachés, humains et naturels et que leur érosion ne saurait se produire sans affecter éventuellement l’ensemble de notre vitalité régionale, ces communautés, par leur situation si particulière, peuvent aussi être les incubatrices de nouveaux modèles de gouvernance, de médiation culturelle et de projets entrepreneuriaux novateurs.

J’appuie cette réflexion sur l’impressionnante mobilisation, l’inventivité et les efforts de plusieurs d’entre elles. Je pense entre autres à la planification stratégique du Témiscamingue, à la coop de plein air qui naîtra cet été, aux initiatives culturelles de Sainte-Germaine-Boulé, La Motte, Témiscaming et tellement d’autres, au magasin général de Moffet, à l’aménagement du Sentier des rapides de Rochebeaucourt, au dévouement d’organismes communautaires essentiels. Les initiatives sont nombreuses et ne peuvent qu’avoir des répercussions positives. En 2013, une publication de la Chaire de recherche en développement des petites collectivités de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) soulignait justement le potentiel de développement inexploité du milieu rural régional, les avantages d’y vivre et la créativité de ses habitants; mais aussi son faible poids politique comparé aux secteurs urbains et le manque de considération des gouvernements centraux envers ses réalités spécifiques.

Il faut dire que même à plus petite échelle, les petits milieux ruraux font face à un autre défi de taille pour la mise en place de projets porteurs : l’essoufflement de leur démocratie locale. L’Observatoire de l’Abitibi-Témiscamingue rapporte qu’en 2017, dans ces milieux, près de 75 % des élus municipaux ont gagné leur siège sans opposition et que de ce nombre, à peine 9 % étaient âgés de 35 ans et moins. Ainsi, bien que des pratiques de mise en commun des ressources, de développement durable et d’économie sociale, entre autres, aient prouvé leur efficacité pour la revitalisation de ces communautés, les potentiels porteurs de ces projets novateurs se font rares et se heurtent trop souvent aux défenseurs du statu quo.

Alors que l’automne 2021 sera saison d’élections municipales, il serait sans doute temps, plus que jamais, de se mobiliser, entre jeunes, entre femmes, entre rêveurs, entre nouveaux arrivants, pour investir enfin les instances de nos communautés ou au moins, s’y intéresser de plus près. Je nous invite également, collectivement, à cultiver notre curiosité envers le territoire. Les réalités régionales sont multiples et méritent d’être découvertes. On mérite de se découvrir pour mieux se connaître, se solidariser, construire notre histoire, nos fiertés et nos identités communes. C’est en connaissant et en aimant chaque recoin de notre territoire qu’on aura le cœur de se mobiliser et de lutter pour sa sauvegarde et sa valorisation dans tous les domaines.