Il se promène en couple, porte tuques et foulards, même lors des printemps plus chauds. À la main, un café chai allongé Starbuck dans un verre non réutilisable et un iPhone très récent. Il a une poussette à trois roues et parle de son dernier séjour en Amérique du Sud. Il a un loft au style déco industriel, acheté à fort prix, car bien situé, près des bistros et des marchés bio. Ses meubles dépareillés viennent de ressourceries. Il n’a pas voté pour la CAQ aux dernières élections.

 

C’est le bobo, le bourgeois-bohème, apparu dans les années 1980 dans les grandes villes américaines et européennes. David Brooks l’a dépeint dans un livre, Bobos in Paradise. Le bobo est le fruit d’une fusion. Celle du bourgeois, consommateur assumé profitant d’un pouvoir d’achat, avec le bohème, influencé par la contre-culture, critique de la consommation. C’est la nouvelle élite, mais ne lui dites pas! 

 

Un personnage trop caricaturé, sujet à des moqueries. C’est la gauche-caviar, c’est la Clique du Plateau, c’est le bisounours, le bien-pensant, qui vit en vase clos, coupé d’un réel vécu par la majorité des gens. En France, il représente Paris contre la province. Ici, le bobo incarne la rivalité latente entre Montréal et son Plateau, le Québec et les régions. 

 

Le bobo est en soi un paradoxe. Il est un bourgeois, mais qui n’assume pas sa position de classe. Il croit encore à la possibilité de changer la société, avec plus d’égalité et de fraternité. Il vote certainement à gauche, se reconnaît dans la majorité des idées de Québec solidaire. Il envoie toutefois ses enfants dans des écoles privées (on ne court pas le risque, en attendant leur abolition) et s’installe, avec sa famille, dans des quartiers ouvriers et populaires, entraînant une hausse du prix des loyers et faisant fuir les plus démunis. Le bobo vit dans les villes, dans l’urbanité la plus intense, avec tous les à-côtés qu’il chérit : bars, librairies, sorties culturelles, transport en commun. Mais il entend tout de même l’appel de la nature et de la campagne. Il a son jardin si l’espace le permet, il verdit la ville et possède une résidence pour le week-end, dans les Laurentides, loin des bruits et du CO2. Il s’y rend en voiture, objet pourtant honni quand il s’agit des banlieusards qui veulent entrer à Montréal. En 2000, dans le journal français Libération, on disait des bobos qu’ils « cultivent une passion pour les aliments bio et les gadgets technos; ils engrangent les stock-options à la bourse, mais soutiennent l’écologiste José Bové. »

 

Le bobo a du bon : café équitable, agriculture biologique, traçabilité des aliments, recyclage, solutions de remplacement à la voiture, bâtiment écologique, yoga. Des mauvaises langues répondront qu’on peut y voir la fantastique capacité du capitalisme à intégrer un groupe social qui prétendait le combattre. Mais il a quand même défini le concept du « consommer moins, mais mieux ». C’est plus intelligent que de se foutre complètement de l’impact de nos choix.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.