La vie a voulu que mes parents divorcent alors que j’avais onze ans. Mon frère et moi sommes restés avec mon père. Il y a trente ans, les hommes seuls ne couraient pas les rues : un congrès les aurait réunis, confortablement, dans une cabine téléphonique. Jusqu’à mon départ de la maison, j’ai vécu avec ce père devenu l’homme le plus important de ma vie. Un homme qui m’a partagé ses valeurs, ses convictions et qui m’en a appris beaucoup sur ce que c’est d’être un adulte, et aussi un père. Surtout. Devenir père est assez facile. Un jeune de 14 ans le saurait. Mais être un père ne l’est pas. Et d’ailleurs, « quand un homme finit par se rendre compte que son père avait raison, lui-même a un fils qui pense qu’il a tort ». C’est tout un apprentissage et le plus grand défi d’une vie!

Mon père, sans être parfait, en avait compris l’essentiel.  Il était celui qui me reconduisait ou me prêtait l’auto (à qui je dois tellement de litres d’essence!), celui qui coachait ou m’encourageait dans les estrades. C’est celui qui s’assurait qu’on ne manque de rien et qui était là pour tout écouter. Mon père, qui parle tant, un volubile, un moulin à paroles, reste un homme de peu de mots quand vient le temps de parler à ses fils. Ses conseils se résumaient en quelques termes : « fais ce que tu dois faire », « il y a un temps pour chaque chose », « le temps arrange les choses ». Des phrases simples. « Mais il ne m’a jamais dit comment vivre ma vie : il m’a laissé l’observer vivre la sienne ». Volonté, autorité, générosité, complicité. Nous ne sommes pas des amis pour autant. Comme le philosophe Michel Onfray, « ma chance fut d’avoir eu un père comme ils existaient avant qu’ils ne deviennent les enfants de leurs enfants ». Peut-être est-ce ce que nous sommes devenus depuis trente ans? Des pères potes, des pères copains, rigolards, habillés des mêmes looks que nos enfants.

J’ai toujours admiré mon père. J’ai toujours fait en sorte qu’il soit fier de moi. Une sorte de moteur. Une sorte de crainte, mais positive, qui me faisait faire de bons choix. Ce que je crois, c’est que tout ce qui sort de la bouche d’un père doit inspirer l’amour ou la peur. 

En juin, les pères doivent être célébrés. Je le dis avec fierté : malgré des lacunes encore, les hommes québécois ont beaucoup progressé en tant que pères. Absents ou pourvoyeurs (pas tous non plus), ils sont devenus, en quelques décennies, présents et engagés (pas tous  non plus). Il faut les remercier. D’être là. Pas de cadeaux. Un beau mot, seulement. Je dis souvent, à la blague, que la paternité est un acte de foi. La mère porte l’enfant. Et en plus, elle a neuf mois d’avance. Entre le fils ou la fille et son père, les présentations se font assez rapidement. « L’enfant n’a pas à mériter l’amour de sa mère. Il faut mériter l’amour de son père, en quelque sorte ». C’est le plus difficile.

Note : plusieurs des passages entre guillemets sont tirés ou inspirés du livre Papa cool de Tom Burns. (édition Marée haute)


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.