Le temps est doux, il neige finement sur ma ville. Et, plutôt que de rejoindre ma flamme en voiture, je décide de marcher. Sa chaleur fera plus de bien après avoir respiré l’air d’hiver. Après avoir respiré doucement l’air d’hiver.

C’est ainsi que j’amorce, sans parcours défini, cette marche menant à la nuit. Il n’y a que mon dessein qui est précis, car pour m’y rendre… je m’invente un parcours.

De la rue Ferré, je prends la Desjardins. Puis la Fortin, à la hauteur de la Place citoyenne, ensuite je tourne sur Prévert vers Desbiens que je suivrai, à gauche, en direction de Sudbury…

Cela m’arrive souvent de ne pas fixer à l’avance le chemin que j’emprunterai. Je prends ce temps pour moi et me laisse aller à improviser la route, ce court trajet d’une heure qui mène droit au cœur.

Je m’apprête à passer devant un restaurant branché lorsque la musique d’un violon fait valser mon attention. Un homme avec chapeau et long manteau fait danser son archet sur un air d’hiver. Il s’exécute ainsi à cet endroit qui sert de terrasse lorsque le temps s’y prête.  

Je m’arrête et sors la poignée de change enfoui dans ma poche. D’habitude, c’est à une station de métro que je pose un tel geste. À la limite, c’est l’été que cela peut arriver, mais l’hiver… L’étui du violoniste n’est pas ouvert. Le musicien m’explique qu’il ne fait pas cela pour l’argent, mais pour égayer la grisaille urbaine. « Ça fait sourire les gens », lance-t-il. Puis, il me dit qu’il peut m’apprendre le violon. En quelques minutes, il m’en montrera les rudiments. Par la suite, je n’aurai qu’à poursuivre seul pour faire chanter cet instrument. Je ne fais pas l’essai, mais demeure à l’écoute.

Il me raconte être ébéniste, il fabrique des cuillères en bois. Puis, il parle du fait que nous sommes bien plus que ce qu’on nous fait croire. Affirme que chacun peut jouer de la vie bien plus qu’il ne le soupçonne. M’explique que lorsque l’on agrandit le cercle de nos connaissances et expériences, ce sont tous les aspects de notre existence qui progressent à la fois. Sa parole est rapide, ses mots précis, son ton convaincu… Je crois rêver, mais cet homme est bien présent. Son propos l’est tout autant.

Des paroles qui ne sont pas de notre époque, mais de toutes les époques à la fois. Une manière de voir qui n’a rien de la pensée préfabriquée. Un regard anachronique, doux et généreux qui embrasse l’univers autrement.

Je vous annonce que je tiendrai désormais une chronique mensuelle dans notre périodique culturel. Elle se nommera L’anachronique. Parce qu’il est, semble-t-il, anachronique ces temps-ci de rêver, d’être solidaire, de croire à autre chose qu’à son propre salut.

Aussi anachronique que de vouloir apprendre gratuitement aux passants à inventer leur musique. \


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