La citation de Marie-Hélène Lafon placée en exergue donne le ton au recueil de poésie : « Toujours les chemins reviennent à eux, nous reviennent, donnés, ouverts ». Que la poétesse nous transporte au Mexique, à Gizeh, à Haïti ou encore à Montréal, l’Abitibi n’est jamais bien loin, comme en témoigne la strophe d’ouverture de l’œuvre : « Même au centre-ville / angle Saint-Laurent et Sainte-Catherine / on est quelque part en Abitibi / mon père et moi / et le ciel nous manque ».

Le voyage constitue d’ailleurs le fil conducteur du recueil, le déplacement s’avérant nécessaire à la création de ces « ciels métissés », qui font se côtoyer plusieurs espace-temps. Il en va ainsi du métro de Montréal, qui nous transporte dans un imaginaire abitibien : « Comme des mineurs / on descend dans les entrailles / de la terre lambrissée / de marbre et de béton ». En outre, difficile de représenter l’espace abitibien sans évoquer la fameuse traversée de la réserve faunique La Vérendrye, « [l]a route 117 [qui] n’en finit plus », ce passage obligé si familier aux gens de la région. Desjardins a aussi recours à des images dont la parenté avec celles de son recueil La 2e Avenue est certaine; il s’agit d’images de l’Abitibi minière, de l’Abitibi dévastée par la pollution, notamment dans ces vers qui mettent en scène Noranda : « Les dahlias de la Polonaise / flétrissent au soleil vert / shootés d’anhydride sulfureux // La fonderie s’époumone / pour bien nous mettre en garde / avant le cataclysme final ».

Pour l’auteure, l’Abitibi semble être d’abord et avant tout le pays de l’enfance, dont les souvenirs sont entre autres traversés par la musique country ‒ par l’entremise de Willie Lamothe et de Dolly Parton ‒ et la culture états-unienne, emblématiques du Noranda des années 50 qu’elle décrit aussi dans son roman La love. Ce sont des souvenirs doux-amers, marqués par les « bleus [du] cœur » et les « mots d’acier trempé », qui sont explorés dans les Ciels métissés. Tentative d’exorciser le passé ou vengeance sur la vie par l’écriture? Quoi qu’il en soit, l’« enfance stagnante » de la poétesse semble faire partie de sa poétique, alors qu’elle « revien[t] et revien[t] » dans sa région natale à travers ses œuvres.

Quoique souvent tourné vers les souvenirs d’enfance et de voyage, le recueil s’ouvre néanmoins sur l’avenir dans sa deuxième partie. La poétesse semble adresser certains vers à ses petits-enfants ‒ à qui elle dédie d’ailleurs l’ouvrage ‒ et leur écrit sur une note optimiste qu’ils sont les « bras ouverts / de tous les impossibles ». Heureusement, Louise Desjardins n’a probablement pas encore épuisé son chant d’amour-haine pour l’Abitibi; les dernières strophes de l’ouvrage semblent annoncer l’éternel retour vers cette terre qui fait partie intégrante de son imaginaire : « Mais il y a ce ciel / toujours trop beau / criblé d’étoiles cruelles / surplombant ce désert // Et cette blancheur ultime / pour tromper l’angoisse // À perte de vue / à perte de sens ».

Desjardins, Louise, Ciels métissés, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. « Poésie », 2014, 75 p.