« Bien sûr, personne ne peut prévoir ce que son passé lui réserve. » p.59

Nous nous attardons ce mois-ci à une œuvre rédigée par une ancienne élève de l’école Sainte-Thérèse d’Amos : Suzanne Jacob, née Barbès, à Amos, il y a eu 68 ans le 26 février. Poète, romancière, mais aussi essayiste et chansonnière, elle signe ici son troisième recueil de nouvelles. Avant de publier son premier roman en 1978, madame Jacob se fait connaître en tant qu’auteure-compositeure-interprète. Ses écrits sont bien reçus du public, et certains titres lui méritent même des prix tels que le Prix du Gouverneur général (pour son roman Laura Laur, 1983, mais aussi pour son recueil de poésie La part du feu, 1998) et le Prix Québec-Paris. Elle reçoit aussi le Prix littéraire de Radio-Canada et celui de la revue Études françaises. Elle est membre de l’Académie des lettres du Québec.

Œuvre intense, ce recueil de nouvelles contient essentiellement des histoires dérangeantes. Ainsi en est-il du sixième texte, « Alors, le bleu du ciel ». La nouvelle regroupe trois peintres de renom : Borduas, Rothko et Soulages, respectivement québécois, étatsunien et français, mais tous trois dotés d’un style quelque peu similaire, et qui œuvrent pendant la première moitié du vingtième siècle. Une petite erreur dans le titre d’un tableau de Soulages sert de point central : le tableau est intitulé 5 février au lieu de 16 février, ce qui amène le lecteur à se demander pourquoi ce glissement. Ainsi, l’auteure nous promène avec une grande aisance sur trois continents, dans un domaine artistique pourtant un peu hermétique.

Auteure du quotidien, elle aborde aussi bien les relations homme-femme, parent-enfant, frères jumeaux, que l’image de l’écrivain qui ressent la douleur et la souffrance des autres, et qui doit soit l’exprimer, soit en mourir. Mais quel que soit le thème traité, Suzanne Jacob raconte d’abord et avant tout l’angoisse. L’angoisse de perdre pied dans le quotidien, de se faire submerger par le quotidien, mais aussi l’angoisse de vivre et de mourir, l’angoisse de la douleur des autres, l’angoisse de survivre au désespoir, le désespoir de l’angoisse, « puits sans fond »,[1] qui se nourrissent l’une l’autre. Et c’est là que réside le talent de l’auteure, celui de nous entraîner dans les dédales les plus profonds de l’être humain sans jamais souffrir de voyeurisme, sans jamais s’appesantir sur ce qu’il peut y avoir de glauque au fond de nous tout en le révélant. Cette écriture suggestive nous renvoie à notre condition humaine sans détour, sans atermoiement, mais aussi sans jérémiade. Chacun, innocent ou coupable, chemine vers son destin et, ce qui rend la lecture de l’œuvre d’autant plus déstabilisante, la distinction entre l’un et l’autre n’est pas toujours évidente, ni définitive. Suzanne Jacob pousse le réalisme à la limite du surnaturel.

Pour ceux qui avaient un peu pris leurs distances après Fugueuse (2005), en lice pour le Prix littéraire des collégiens 2006, je vous suggère ce livre au style direct et à l’écriture épurée.

[1] Il s’agit du titre de la 7ème nouvelle.

 


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