L’Abitibi-Témiscamingue a vu son histoire projetée plus d’une fois au cinéma. Dans cette série d’articles, on dépoussière la mémoire collective, on remonte le cours des jours jusqu’au partage des mots, on brasse le fond et on se remet dans la forme des vues sur le nord.

Pour parler du Québec, de ce que devient une province qui s’est révolutionnée tranquillement et qui au présent cherche toujours, en mal de fondations qui n’aient pas été ébranlées au passage des nouvelles idées, ça prend beaucoup de patience. Pendant qu’à la grand-ville, dans les médias, on débat de l’identité et on applique la problématique au Québec entier, ailleurs en région, loin du tumulte métropolitain, on vit le présent différemment et pourtant, les problèmes qui s’y trouvent sont tout autant emblématiques et représentatifs de l’état de la nation.

À la sortie du film La Donation (2009) l’automne dernier, le réalisateur montréalais Bernard Émond expliquait ce qui l’avait amené jusqu’à Normétal pour terminer sa trilogie théologale, entamée avec La Neuvaine (2005) et poursuivie avec Contre toute espérance (2007). Au contact des paysages de l’Abitibi pendant le Festival du cinéma international voilà près de cinq ans, il avait ressenti une profonde nostalgie, comme si la nature pouvait mieux que la civilisation le ramener près de ses racines québécoises. C’est donc dans cet esprit qu’il a décidé de tourner pendant deux mois, avec la forêt boréale comme décor et les Normétaliens comme principaux figurants.

Le Québec dans Normétal


La Donation parle donc de la rencontre entre le docteur de Westmount Jeanne Dion (Élise Guilbault) et le lointain village de Normétal, contrée laissée à elle-même par l’industrie mais que se refusent à abandonner quelque 850 humains. À son arrivée, on lui décrit l’histoire de la région de façon simple et étonnante, avec les mêmes mots qu’avait employés l’abbé Proulx dans son film En Pays neuf en 1937 et ceux d’Hauris Lalancette dans les films de Pierre Perreault; ces mots qui racontaient des terres en bois debout défrichées à main d’homme laissés en pleine forêt il n’y a pas cent ans et qui finalement retournent en friche.
Mais le contact avec l’Abitibi, c’est pour Bernard Émond une occasion de parler des liens brisés avec notre passé et de tout ce que l’on a perdu socialement, des valeurs oubliées depuis qu’on a mis le crucifix aux poubelles. Le personnage de Jeanne Dion se retrouve à pratiquer la médecine dans un endroit où elle n’a pas le choix de regarder en face chacun de ses patients et de les traiter humainement, même si cela implique de fixer dans les yeux la mort elle-même. Et si elle décide d’y rester, c’est qu’elle s’émeut finalement de ce contact nécessaire mais souvent difficile avec l’humain et avec la nature.

L’Abitibi sert donc à métaphoriser la fragilité de la société actuelle. Normétal apparaît dans La Donation comme un lieu menacé par l’oubli mais qui restera soudé et survivra grâce à la proximité obligée qui se vit là-bas. La ruralité est finalement ceinte des remèdes auxquels tendent les bras malades de la société québécoise, et ces remèdes ne sont rien d’autre que des rapports plus sains, vécus à la fois entre les individus et avec notre passé.

Bernard Émond signe avec ce film, épuré côté dialogue, une oeuvre socialement importante par son éloquence puisqu’en zoomant sur Normétal, il réussit à parler d’un Québec trop souvent mal représenté.


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