L’Abitibi-Témiscamingue a vu son histoire projetée plus d’une fois au cinéma. Dans cette série d’articles, on dépoussière la mémoire collective, on remonte le cours des jours jusqu’au partage des mots, on brasse le fond et on se remet dans la forme des vues sur le nord.

 

Une nation en extinction, en déclin, qui s’éteint littéralement, peu à peu, sous nos yeux. Un peuple qui agonise, qui gît dans son infortune sans qu’on l’entende, qui parle tout seul d’une petite voix, incapable de percer la carapace qui nous fait s’indifférer. Comment est-ce possible, qu’on ait la misère comme voisins depuis si longtemps et qu’on reste ici? Le peuple algonquin en Abitibi-Témiscamingue, son histoire et son présent, on y est rarement confronté, et à chaque fois ce ne peut être qu’un choc.

Le défi était de taille pour Richard Desjardins et Robert Monderie : faire asseoir le Québec entier dans une salle et lui raconter ce qu’il a fait subir à tout un peuple. Probablement avec confiance en leurs moyens grâce au succès de L’Erreur boréale, ces cinéastes ont entrepris, avec Le Peuple invisible (2007), d’éliminer le fondement de l’indifférence, c’est-à-dire l’ignorance. Pour mieux comprendre dans quel monde on vit, Desjardins et Monderie nous font regarder autour de nous, au-delà de nos bourgs et de nos villages, jusque dans les réserves.

Chasser l’ignorance, débusquer l’empathie
Le Peuple invisible trace un portrait global de la situation des Algonquins du Québec, en faisant appel à un passé pas si lointain pour expliquer le présent. C’est en créant tout un choc que le récit nous rappelle que les abus commis envers les Algonquins ne font pas partie d’une époque totalement révolue, et que ces histoires passées talonnent le présent.

Si nous, les Blancs, avons l’impression que cette terre nous appartient, il est bon de revoir l’Histoire. Un cas est notoire, celui de Nédelec, l’histoire d’un évêque chargé de la colonisation qui a refusé de reconnaître le territoire donné par le fédéral aux Algonquins et qui a insisté pendant des années pour que ceux-ci n’y aient plus accès. Il y a aussi l’histoire des Oblats qui, à Maniwaki, ont vendu à des agriculteurs des terres appartenant aux Algonquins. Et il y a de plus les 40 cessions de territoire autour du lac Témiscamingue qui sont toutes « suspectes » aux yeux d’une historienne de Notre- Dame-du-Nord. Et par-dessus tout ça, il y a la mémoire traumatisée des Algonquins qui racontent devant la caméra les sévices sexuels que leur ont infligés les « hommes de Dieu », les frères enseignant dans les pensionnats qu’on forçait les Algonquins à intégrer pour « les aider à mieux s’adapter à leur nouveau mode de vie ».

Pour l’homme blanc, finalement, la confiance des autochtones est fatalement à regagner. Le premier pas que l’on est appelé à faire, c’est de rompre notre attachement à l’ignorance, qui nous protège contre le bouleversement évident que suscite la situation dans les réserves.

Le Peuple invisible, bien que ce soit difficile pour un film d’une heure trente sur un sujet si large de nous amener à nous sentir vraiment proche des personnages, est une nécessité. Une leçon d’histoire livrée avec la franchise et la droiture que l’on connaît à Richard Desjardins, précisément nouée grâce au langage du cinéma, pour nous donner le goût d’enfin reconnaître la cruauté du passé et de tout recommencer.


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